Pour la première fois de leur vie, les Égyptiens vivent une élection
présidentielle démocratique. La campagne menée par les 13 candidats
retenus est pour eux un sujet d’étonnement quotidien. Il ne s’agit pas
simplement d’affiches collées sur les murs ou de slogans, chacun a son
style, ou plutôt sa façon d’attirer les électeurs.
Cette course à la présidence a eu un temps fort, absolument inédit.
Le jeudi 10 mai, des millions de téléspectateurs ont vu les deux
favoris, Amr Moussa et Abdel-Moneim Abul-Futuh, s’attaquer sans
retenue sur le petit écran. Moussa a été pendant dix ans le ministre des
Affaires étrangères de Moubarak, puis il a été de 2001 à 2011 le patron
de la Ligue arabe. Abul-Futuh est un islamiste modéré, un ancien
pilier de la confrérie dont il a été chassé pour avoir décidé de briguer
la première magistrature de l’État en juillet 2011. À l’époque, les
Frères (al-Ikhwan) avaient promis de ne pas participer à la première
présidentielle.
Le passé de chaque candidat a servi de cible à l’autre. "Comment un
homme qui a travaillé pendant dix ans avec Moubarak peut-il prétendre
reconstruire l’Égypte ?" a accusé Abul-Futuh. L’ancien ministre a
rétorqué qu’il n’approuvait pas tous les actes du régime, et qu’il a été
expulsé. Avant de lancer : "Vous avez fait de la prison, mais c’était
pour défendre l’idéologie de la confrérie, et non pour la cause de la
nation."
Depuis la fin de la monarchie, en 1952, l’élection présidentielle
obéissait à un scénario bien rodé. Le Parlement choisissait le futur
président, et le peuple l’approuvait par référendum. Les bureaux de vote
ont souvent été déserts, mais qu’importe puisque le résultat n’en tient
pas compte : 95 à 97 % des électeurs plébiscitaient le choix du
Parlement. En 2005, pour la première fois, l’élection fut plus ouverte,
mais il s’agissait d’une fiction, les règles électorales faisant en
sorte que seul le président Moubarak, ou un membre du parti au pouvoir,
puisse être élu.
D’où, actuellement, une certaine méfiance du simple citoyen même si
le Conseil supérieur des forces armées ne cesse de répéter qu’il
remettra le pouvoir entre les mains du nouvel élu.Pour assurer la transparence de ce scrutin inédit, les 23 et 24 mai,
14 000 juges superviseront les votes à travers le pays. Le recours au
pouvoir judiciaire, qui s’est toujours montré irréprochable, devrait
apaiser les craintes.
Mais une autre question se pose, non moins redoutable : quelles
seront les prérogatives du chef de l’État puisque la nouvelle
Constitution n’a pas encore été rédigée, pire, que le Parlement n’a
toujours pas établi la composition de l’Assemblée constituante. Elle
devrait voir le jour dans les prochains jours, mais n’aura pas le temps
d’élaborer son projet. Officiellement, le président jouira soit des
prérogatives accordées dans la Constitution de 1971, soit de celles
définies dans la Constitution transitoire du 30 mars 2011 enrichie d’un
addendum.
Ce climat d’incertitude n’entame pas l’enthousiasme des candidats en
campagne. Depuis une vingtaine de jours, ils parcourent les divers
gouvernorats, et exposent leur programme devant des milliers de
sympathisants. Pourtant, les propositions n’offrent pas une grande
diversité. Les plaies de l’Égypte sont connues : la misère (40 % des
Égyptiens sont au seuil de la pauvreté), le chômage, la corruption. Les
remèdes aussi : établir une économie libre, la justice sociale,
promouvoir l’enseignement et la santé...
Les libéraux, les laïcs, une bonne partie des Coptes et de la
bourgeoisie soutiennent Amr Moussa. Abul-Futuh, héros des jeunes
Frères musulmans, peut désormais compter sur les salafistes. Mais
l’appui des islamistes radicaux inquiète les Coptes qui se sentaient
proches de ce candidat modéré. Du côté des "petits candidats", Mohamed
Morsi est puissamment aidé par la confrérie, qui affirme dans ses
prêches que "voter pour Morsi, c’est plaire à Dieu". Ahmed Chafic est
l’espoir des partisans de l’ancien régime, et l’armée, malgré son
silence, ne saurait lui être défavorable.
Il est impossible de prédire le nom du futur président. D’autant plus
qu’à une semaine du scrutin environ 40 % des électeurs affirment
n’avoir pas encore fait leur choix. Il est également impossible de
prévoir la façon dont le pouvoir militaire va préserver ses privilèges
et son statut privilégié.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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