Les informations tournent en boucle sur le petit écran de la
télévision. Awal Hayat, directrice de l’agence de voyages libanaise
Bader el Cobra, laisse courir un chapelet entre ses doigts. Les yeux
gonflés, un voile marron bien ajusté, elle attend. Son agence, située
dans la banlieue sud de Beyrouth contrôlée par le Hezbollah, a baissé le
rideau, tout comme son magasin de vêtements, devant lequel les caméras
des journalistes scrutent les moindres faits et gestes. Depuis le 22
mai, 11 pèlerins libanais chiites ont été enlevés près d’Alep, en Syrie.
Ils venaient d’effectuer un pèlerinage religieux en Iran. "Chaque
année, plus de 10 000 chiites partent du Liban en pèlerinage en Iran, en
Irak ou en Syrie. Malgré la guerre en Syrie, nous avions pu passer sans
problème en bus à l’aller", déclare cette femme de 37 ans, aux traits
tirés par l’angoisse.
Depuis qu’elle a ouvert son agence, en 2000, "c’est la première fois
que quelque chose comme cela arrive", constate-t-elle. Lorsque la
nouvelle de leur rapt a été annoncée, la banlieue sud de Beyrouth,
contrôlée par le Hezbollah allié au régime de Damas, a commencé à se
soulever. Des pneus brûlés et des ordures ont été dispersés, bloquant la
route menant à l’aéroport jusqu’à ce que Hassan Nasrallah appelle au
calme alors que les tensions intercommunautaires au Liban s’enveniment
sur fond de crise syrienne.
L’affaire vire au feuilleton. Et le vendredi 25 mai, tout le monde a
cru à un heureux dénouement. La réconciliation nationale était même
évoquée : il était annoncé que les pèlerins étaient en Turquie, prêts à
rentrer grâce à un jet privé mis à disposition par Saad Hariri, chef
sunnite du Courant du futur, soutenu par l’Arabie saoudite, en exil. Le
soir même, le gratin politique libanais s’était rendu à l’aéroport, et
Hassan Nasrallah était même allé jusqu’à remercier le chef sunnite.
Mais les otages ne sont pas rentrés. Le lendemain, Ankara annonce que
les pèlerins "n’ont jamais mis les pieds en Turquie". Tollé. Alors que
la classe politique libanaise affirme qu’ils sont en bonne santé, des
rumeurs circulent et font état de leur exécution par leurs ravisseurs.
Aux côtés d’Awal Hayat, un homme, en jean et chemise bleue, déclare
faire partie du bureau de presse du parti chiite. Les familles n’ont
plus le droit d’évoquer le sort des otages ni même les circonstances de
l’attaque en cette fin de mois de mai. Alors que l’identité des
ravisseurs n’est pas connue - l’Armée syrienne libre dément être à
l’origine du rapt -, le doute règne également sur l’identité des otages.
Hussam Awak, le général des officiers libres de Syrie, a de son côté
déclaré, à la chaîne libanaise LBCI, que pas moins de cinq cadres du
Hezbollah se trouveraient parmi les détenus. Information démentie par le
parti chiite.
À Istanbul, en Turquie, le chef démissionnaire du Conseil
national syrien (CNS), Burhan Ghalioun, a déclaré : "Les choses ne sont
pas claires et il se peut qu’il n’y ait pas de libération dans les
prochaines heures."
Dans le petit magasin transformé en boutique de vêtements il y a un
an à la suite de l’ouverture de la nouvelle agence, tous les yeux sont
rivés vers le téléviseur. Une personne apparaît cagoulée à l’écran,
assise devant un mur grisâtre et épuré. Un bandeau écrit en arabe défile
en dessous. Un lourd silence s’installe. Le volume est monté. Les yeux
s’écarquillent. Tous espèrent des nouvelles des otages. La tension se
relâche, le volume diminue, la conversation reprend. "C’est une personne
qui parle de Houla", explique avec dédain Issam. Le 25 mai, 108
personnes, dont une cinquantaine d’enfants, selon l’ONU, ont été tuées
dans ce qui est devenu le massacre de Houla en Syrie. Un crime dénoncé
par toute la communauté internationale, Hezbollah compris. Ce qui "n’est
pas suffisant" aux yeux de l’Armée syrienne libre, qui menace de
suspendre les négociations - déjà officiellement interrompues - si le
chef du parti chiite ne condamne pas "clairement le massacre de Houla".
Deux portraits d’Hassan Nasrallah sont scotchés derrière Awal Hayat.
Dans la banlieue sud de Beyrouth, la tendance est clairement en faveur
de Bashar el-Assad. Peu après l’annonce de l’enlèvement des 11 pèlerins,
certaines familles libanaises n’ont pas hésité à menacer de s’en
prendre aux réfugiés syriens au Liban. À Houla, village homonyme situé
dans le sud du Liban contrôlé par le Hezbollah, des tracts ont été
distribués. Signés "Libres de Houla", ils demandaient aux Syriens de
quitter la ville dans les 24 heures : "Nous avons écrit cette menace à
l’encre, ne nous poussez pas à l’écrire avec le sang." Les forces de
sécurité enquêteraient afin d’identifier les auteurs de ces menaces. Les
Syriens de ce village n’ont pas fui, contrairement à ceux d’Al-Charkia,
situé dans le sud du Liban, dont serait originaire l’un des 11 enlevés.
Selon l’agence Al-Markaziya, une série d’incidents similaires à celui
de Houla (Liban) serait survenue entre des ouvriers syriens et des
citoyens libanais dans de nombreuses parties du pays.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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