jeudi 31 mai 2012

Liban : Onze pèlerins chiites libanais ont été enlevés le 22 mai en Syrie. La tension monte à Beyrouth malgré les appels au calme du Hezbollah.

Les informations tournent en boucle sur le petit écran de la télévision. Awal Hayat, directrice de l’agence de voyages libanaise Bader el Cobra, laisse courir un chapelet entre ses doigts. Les yeux gonflés, un voile marron bien ajusté, elle attend. Son agence, située dans la banlieue sud de Beyrouth contrôlée par le Hezbollah, a baissé le rideau, tout comme son magasin de vêtements, devant lequel les caméras des journalistes scrutent les moindres faits et gestes. Depuis le 22 mai, 11 pèlerins libanais chiites ont été enlevés près d’Alep, en Syrie. Ils venaient d’effectuer un pèlerinage religieux en Iran. "Chaque année, plus de 10 000 chiites partent du Liban en pèlerinage en Iran, en Irak ou en Syrie. Malgré la guerre en Syrie, nous avions pu passer sans problème en bus à l’aller", déclare cette femme de 37 ans, aux traits tirés par l’angoisse.

Depuis qu’elle a ouvert son agence, en 2000, "c’est la première fois que quelque chose comme cela arrive", constate-t-elle. Lorsque la nouvelle de leur rapt a été annoncée, la banlieue sud de Beyrouth, contrôlée par le Hezbollah allié au régime de Damas, a commencé à se soulever. Des pneus brûlés et des ordures ont été dispersés, bloquant la route menant à l’aéroport jusqu’à ce que Hassan Nasrallah appelle au calme alors que les tensions intercommunautaires au Liban s’enveniment sur fond de crise syrienne.

L’affaire vire au feuilleton. Et le vendredi 25 mai, tout le monde a cru à un heureux dénouement. La réconciliation nationale était même évoquée : il était annoncé que les pèlerins étaient en Turquie, prêts à rentrer grâce à un jet privé mis à disposition par Saad Hariri, chef sunnite du Courant du futur, soutenu par l’Arabie saoudite, en exil. Le soir même, le gratin politique libanais s’était rendu à l’aéroport, et Hassan Nasrallah était même allé jusqu’à remercier le chef sunnite.

Mais les otages ne sont pas rentrés. Le lendemain, Ankara annonce que les pèlerins "n’ont jamais mis les pieds en Turquie". Tollé. Alors que la classe politique libanaise affirme qu’ils sont en bonne santé, des rumeurs circulent et font état de leur exécution par leurs ravisseurs.

Aux côtés d’Awal Hayat, un homme, en jean et chemise bleue, déclare faire partie du bureau de presse du parti chiite. Les familles n’ont plus le droit d’évoquer le sort des otages ni même les circonstances de l’attaque en cette fin de mois de mai. Alors que l’identité des ravisseurs n’est pas connue - l’Armée syrienne libre dément être à l’origine du rapt -, le doute règne également sur l’identité des otages. Hussam Awak, le général des officiers libres de Syrie, a de son côté déclaré, à la chaîne libanaise LBCI, que pas moins de cinq cadres du Hezbollah se trouveraient parmi les détenus. Information démentie par le parti chiite.

À Istanbul, en Turquie, le chef démissionnaire du Conseil national syrien (CNS), Burhan Ghalioun, a déclaré : "Les choses ne sont pas claires et il se peut qu’il n’y ait pas de libération dans les prochaines heures."
Dans le petit magasin transformé en boutique de vêtements il y a un an à la suite de l’ouverture de la nouvelle agence, tous les yeux sont rivés vers le téléviseur. Une personne apparaît cagoulée à l’écran, assise devant un mur grisâtre et épuré. Un bandeau écrit en arabe défile en dessous. Un lourd silence s’installe. Le volume est monté. Les yeux s’écarquillent. Tous espèrent des nouvelles des otages. La tension se relâche, le volume diminue, la conversation reprend. "C’est une personne qui parle de Houla", explique avec dédain Issam. Le 25 mai, 108 personnes, dont une cinquantaine d’enfants, selon l’ONU, ont été tuées dans ce qui est devenu le massacre de Houla en Syrie. Un crime dénoncé par toute la communauté internationale, Hezbollah compris. Ce qui "n’est pas suffisant" aux yeux de l’Armée syrienne libre, qui menace de suspendre les négociations - déjà officiellement interrompues - si le chef du parti chiite ne condamne pas "clairement le massacre de Houla".

Deux portraits d’Hassan Nasrallah sont scotchés derrière Awal Hayat. Dans la banlieue sud de Beyrouth, la tendance est clairement en faveur de Bashar el-Assad. Peu après l’annonce de l’enlèvement des 11 pèlerins, certaines familles libanaises n’ont pas hésité à menacer de s’en prendre aux réfugiés syriens au Liban. À Houla, village homonyme situé dans le sud du Liban contrôlé par le Hezbollah, des tracts ont été distribués. Signés "Libres de Houla", ils demandaient aux Syriens de quitter la ville dans les 24 heures : "Nous avons écrit cette menace à l’encre, ne nous poussez pas à l’écrire avec le sang." Les forces de sécurité enquêteraient afin d’identifier les auteurs de ces menaces. Les Syriens de ce village n’ont pas fui, contrairement à ceux d’Al-Charkia, situé dans le sud du Liban, dont serait originaire l’un des 11 enlevés. Selon l’agence Al-Markaziya, une série d’incidents similaires à celui de Houla (Liban) serait survenue entre des ouvriers syriens et des citoyens libanais dans de nombreuses parties du pays.

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