mercredi 23 mai 2012

Egypte : Aux urnes !

Les Égyptiens se rendent aux urnes mercredi pour élire le successeur de Hosni Moubarak lors d’un scrutin historique dont le résultat, pour la première fois, n’est pas connu d’avance. Quinze mois après la démission de Moubarak sous la pression d’un soulèvement populaire, plus de 50 millions d’électeurs potentiels sont appelés à choisir l’un des 12 candidats en lice. Les principaux prétendants sont le candidat des Frères musulmans Mohammed Morsi, l’islamiste indépendant Abdel Moneim Aboul Foutouh, le dernier Premier ministre de Moubarak Ahmad Chafiq, l’ex-ministre des Affaires étrangères et ancien patron de la Ligue arabe Amr Moussa et le nationaliste arabe Hamdeen Sabbahi. Un second tour est prévu les 16 et 17 juin faute d’une majorité absolue en faveur de l’un des candidats à l’issue du premier.

Pendant plusieurs semaines, les candidats ont sillonné le pays pour tenter de convaincre les électeurs dans un climat d’ouverture inimaginable il y a peu. Le pays entier a parlé politique avec passion pendant la campagne et vécu au rythme des meetings et des rebondissements de la bataille électorale.

L’enjeu est de taille car les candidats - islamistes, laïcs, de gauche ou libéraux, partisans de la "révolution" ou anciens responsables du régime Moubarak - proposent des programmes très différents.

Le Conseil militaire au pouvoir depuis la chute de Hosni Moubarak a appelé les Égyptiens à voter en masse, promettant un scrutin "100 % transparent" et mettant en garde contre toute "violation". L’élection d’un nouveau président doit mettre fin à une période de transition tumultueuse, émaillée de violences souvent meurtrières. L’armée, cible de la colère des militants pro-démocratie qui l’accusent d’avoir mal géré la transition et d’avoir réprimé les droits de l’homme, a promis de remettre le pouvoir avant la fin juin, aussitôt élu le nouveau chef de l’État. La mouvance des "jeunes de la révolution", à la pointe du combat pour renverser Moubarak, est de son côté divisée sur le choix de celui qui pourrait porter ses idées.

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Amr Moussa : "Tout n’est pas à jeter dans l’ancien régime"
C’est un véritable raz-de-marée humain qui a suivi, vendredi 18 mai, le bus de campagne d’Amr Moussa dans la ville de Rachid, à proximité d’Alexandrie, deuxième ville d’Égypte après Le Caire. Souriant, décontracté, le candidat enchaîne les meetings et les bains de foule. Accompagné d’une équipe de jeunes gens dynamiques arborant des tee-shirts blancs à l’effigie de leur champion - ainsi que le slogan "Nous sommes à la hauteur du défi" -, l’homme, âgé de 75 ans, semble se sentir en sécurité. Ses proches partisans l’appellent "papa" et lui ne rechigne pas à aller au contact de ses supporteurs.

Le candidat va même jusqu’à dire quelques mots à notre micro... en français. "Je suis très heureux de la réception populaire, comme vous le voyez !"

L’ex-secrétaire général de la Ligue arabe, âgé de 75 ans, a commencé très tôt à sillonner le pays. Et pour cause, il avait une tâche délicate à accomplir : gommer l’image de feloul, c’est-à-dire de collaborateur de l’ancien régime, qui lui colle à la peau. Avoir été ministre des Affaires étrangères sous l’ère Moubarak n’est assurément pas la meilleure carte de visite qui soit, mais Amr Moussa, qui nous a accordé une interview à l’hôtel international Palestine d’Alexandrie, se prévaut de certains atouts.

"Je suis très fier de mon expérience. J’ai été chef de la diplomatie égyptienne pendant dix ans (de 1991 à 2001) et ce background va me servir dans la gestion du pays."

Surtout aux médias occidentaux le candidat Moussa n’hésite pas à dire ce qu’il n’a jamais clairement énoncé lors de ses interventions dans les médias arabes : "Tout n’est pas à jeter dans l’ancien régime. Parmi eux, il y a des gens qui possèdent des compétences ; des personnes de confiance, qu’elles soient à l’intérieur ou à l’extérieur de l’administration. Je vais recourir à ces personnes, non pas parce que ce sont mes amies, mais parce qu’elles ont des compétences."

De même, sur l’avenir des relations avec Israël, Amr Moussa, à rebours de ce qu’il avait annoncé lors du fameux débat télévisé qui l’avait opposé à son principal adversaire, l’islamiste modéré Abdel Moneim Abou el-Fotouh, se veut rassurant : "Il n’y aura pas de remise en question des accords de Camp David, (accords de paix signés avec Israël en 1978)", insiste-t-il. Cependant, il dit vouloir rester vigilant : "Tant que l’autre partie s’engage à respecter ces accords, nous les respecterons et nous ne prendrons pas nos distances avec l’initiative de paix arabes."

Sur l’armée, dont le pouvoir est entaché d’accusations de corruption, l’ancien ministre des Affaires étrangères feint l’incompréhension : "Corruption ? Quelle corruption au sein de l’armée ? Cette question n’est pas pertinente !

La corruption en général est un dossier que je vais traiter avec beaucoup de sévérité avec le gouvernement et les autres sphères. Je ne veux pas débattre de quoi que ce soit concernant l’armée dans cet entretien. Vous m’entendez ! Je ne veux pas parler de l’armée dans cette conférence."

Le candidat Moussa va être élu sans Constitution, puisque celle-ci n’est même pas encore rédigée... Comment peut-il gouverner sans connaître les prérogatives que lui conférera sa charge ? "Il y a une déclaration provisoire (soumise au référendum du 19 mars 2011 et approuvée par les Égyptiens).

C’est celle-ci qui sera applicable en attendant que la nouvelle Constitution soit rédigée. Elle dispose que le mandat du président est de quatre ans, renouvelable une seule fois. Il y a un Parlement élu, ce qui veut dire que le président n’aura aucun pouvoir législatif. Le régime sera présidentiel. Autrement dit, le président va nommer le Premier ministre, mais cela se fera sûrement en concertation avec les autres forces politiques et la majorité parlementaire", explique-t-il, tout en évoquant sa préférence pour un système présidentiel, mais... "à la française".

Conscient des difficultés que traverse le pays, Amr Moussa a prioritairement axé son programme sur le retour de l’ordre et le redressement de l’économie. Il souhaite aussi donner accès à la sécurité sociale à tous les Égyptiens (50 % d’entre eux vivent actuellement sous le seuil de pauvreté).

D’un signe, le responsable de la campagne du candidat, âgé d’une trentaine d’années, met fin à l’entretien. Amr Moussa remonte alors dans le bus, placé devant la porte, et s’accorde un nouveau bain de foule. Ses supporteurs se ruent littéralement sur lui, dans l’espoir de toucher ne serait-ce que le bout de sa chemise. Une ferveur à la limite de la vénération. Comme si, même après une révolution, les Égyptiens s’apprêtaient à élire un nouveau pharaon...  

(Par Fatiha Temmouri)

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