Les Égyptiens se rendent aux urnes mercredi pour élire le successeur
de Hosni Moubarak lors d’un scrutin historique dont le résultat, pour la
première fois, n’est pas connu d’avance. Quinze mois après la démission
de Moubarak sous la pression d’un soulèvement populaire, plus de 50
millions d’électeurs potentiels sont appelés à choisir l’un des 12
candidats en lice. Les principaux prétendants sont le candidat des
Frères musulmans Mohammed Morsi, l’islamiste indépendant Abdel Moneim
Aboul Foutouh, le dernier Premier ministre de Moubarak Ahmad Chafiq,
l’ex-ministre des Affaires étrangères et ancien patron de la Ligue arabe
Amr Moussa et le nationaliste arabe Hamdeen Sabbahi. Un second tour est
prévu les 16 et 17 juin faute d’une majorité absolue en faveur de l’un
des candidats à l’issue du premier.
Pendant plusieurs semaines, les candidats ont sillonné le pays pour
tenter de convaincre les électeurs dans un climat d’ouverture
inimaginable il y a peu. Le pays entier a parlé politique avec passion
pendant la campagne et vécu au rythme des meetings et des
rebondissements de la bataille électorale.
L’enjeu est de taille car
les candidats - islamistes, laïcs, de gauche ou libéraux, partisans de
la "révolution" ou anciens responsables du régime Moubarak - proposent
des programmes très différents.
Le Conseil militaire au pouvoir depuis la chute de Hosni Moubarak a
appelé les Égyptiens à voter en masse, promettant un scrutin "100 %
transparent" et mettant en garde contre toute "violation". L’élection
d’un nouveau président doit mettre fin à une période de transition
tumultueuse, émaillée de violences souvent meurtrières. L’armée, cible
de la colère des militants pro-démocratie qui l’accusent d’avoir mal
géré la transition et d’avoir réprimé les droits de l’homme, a promis de
remettre le pouvoir avant la fin juin, aussitôt élu le nouveau chef de
l’État. La mouvance des "jeunes de la révolution", à la pointe du combat
pour renverser Moubarak, est de son côté divisée sur le choix de celui
qui pourrait porter ses idées.
***
Amr Moussa : "Tout n’est pas à jeter dans l’ancien régime"
C’est un véritable raz-de-marée humain qui a suivi, vendredi 18 mai,
le bus de campagne d’Amr Moussa dans la ville de Rachid, à proximité
d’Alexandrie, deuxième ville d’Égypte après Le Caire. Souriant,
décontracté, le candidat enchaîne les meetings et les bains de foule.
Accompagné d’une équipe de jeunes gens dynamiques arborant des
tee-shirts blancs à l’effigie de leur champion - ainsi que le slogan
"Nous sommes à la hauteur du défi" -, l’homme, âgé de 75 ans, semble se
sentir en sécurité. Ses proches partisans l’appellent "papa" et lui ne
rechigne pas à aller au contact de ses supporteurs.
Le candidat va même jusqu’à dire quelques mots à notre micro... en
français. "Je suis très heureux de la réception populaire, comme vous le
voyez !"
L’ex-secrétaire général de la Ligue arabe, âgé de 75 ans, a commencé
très tôt à sillonner le pays. Et pour cause, il avait une tâche délicate
à accomplir : gommer l’image de feloul, c’est-à-dire de collaborateur
de l’ancien régime, qui lui colle à la peau. Avoir été ministre des
Affaires étrangères sous l’ère Moubarak n’est assurément pas la
meilleure carte de visite qui soit, mais Amr Moussa, qui nous a accordé
une interview à l’hôtel international Palestine d’Alexandrie, se prévaut
de certains atouts.
"Je suis très fier de mon expérience. J’ai été chef de la diplomatie
égyptienne pendant dix ans (de 1991 à 2001) et ce background va me
servir dans la gestion du pays."
Surtout aux médias occidentaux le candidat Moussa n’hésite pas à dire ce
qu’il n’a jamais clairement énoncé lors de ses interventions dans les
médias arabes : "Tout n’est pas à jeter dans l’ancien régime. Parmi eux,
il y a des gens qui possèdent des compétences ; des personnes de
confiance, qu’elles soient à l’intérieur ou à l’extérieur de
l’administration. Je vais recourir à ces personnes, non pas parce que ce
sont mes amies, mais parce qu’elles ont des compétences."
De même, sur l’avenir des relations avec Israël, Amr Moussa, à rebours
de ce qu’il avait annoncé lors du fameux débat télévisé qui l’avait
opposé à son principal adversaire, l’islamiste modéré Abdel Moneim Abou
el-Fotouh, se veut rassurant : "Il n’y aura pas de remise en question
des accords de Camp David, (accords de paix signés avec Israël en
1978)", insiste-t-il. Cependant, il dit vouloir rester vigilant : "Tant
que l’autre partie s’engage à respecter ces accords, nous les
respecterons et nous ne prendrons pas nos distances avec l’initiative de
paix arabes."
Sur l’armée, dont le pouvoir est entaché d’accusations de corruption,
l’ancien ministre des Affaires étrangères feint l’incompréhension :
"Corruption ? Quelle corruption au sein de l’armée ? Cette question
n’est pas pertinente !
La corruption en général est un dossier que
je vais traiter avec beaucoup de sévérité avec le gouvernement et les
autres sphères. Je ne veux pas débattre de quoi que ce soit concernant
l’armée dans cet entretien. Vous m’entendez ! Je ne veux pas parler de
l’armée dans cette conférence."
Le candidat Moussa va être élu sans Constitution, puisque celle-ci n’est
même pas encore rédigée... Comment peut-il gouverner sans connaître les
prérogatives que lui conférera sa charge ? "Il y a une déclaration
provisoire (soumise au référendum du 19 mars 2011 et approuvée par les
Égyptiens).
C’est celle-ci qui sera applicable en attendant que la
nouvelle Constitution soit rédigée. Elle dispose que le mandat du
président est de quatre ans, renouvelable une seule fois. Il y a un
Parlement élu, ce qui veut dire que le président n’aura aucun pouvoir
législatif. Le régime sera présidentiel. Autrement dit, le président va
nommer le Premier ministre, mais cela se fera sûrement en concertation
avec les autres forces politiques et la majorité parlementaire",
explique-t-il, tout en évoquant sa préférence pour un système
présidentiel, mais... "à la française".
Conscient des difficultés que traverse le pays, Amr Moussa a
prioritairement axé son programme sur le retour de l’ordre et le
redressement de l’économie. Il souhaite aussi donner accès à la sécurité
sociale à tous les Égyptiens (50 % d’entre eux vivent actuellement sous
le seuil de pauvreté).
D’un signe, le responsable de la campagne du candidat, âgé d’une
trentaine d’années, met fin à l’entretien. Amr Moussa remonte alors dans
le bus, placé devant la porte, et s’accorde un nouveau bain de foule.
Ses supporteurs se ruent littéralement sur lui, dans l’espoir de toucher
ne serait-ce que le bout de sa chemise. Une ferveur à la limite de la
vénération. Comme si, même après une révolution, les Égyptiens
s’apprêtaient à élire un nouveau pharaon...
(Par Fatiha Temmouri)
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