Ils se disaient déjà victimes de discrimination sous le régime laïque de
Hosni Moubarak. Aujourd’hui, beaucoup de chrétiens d’Egypte votent pour
barrer la route aux islamistes, de peur de ne plus trouver leur place
dans une société de plus en plus islamisée.
A Chobra, un quartier populaire du Caire où vivent de nombreux Coptes,
les queues sont aussi longues qu’ailleurs dans la capitale. Mais chez
beaucoup d’électeurs chrétiens, l’inquiétude, et même la tension, sont
palpables.
"Je ne veux pas des islamistes. S’ils arrivent au pouvoir et que je
m’oppose à eux, ils vont dire que je critique leur religion et qui sait
ce qu’ils me feront ? On ne peut pas discuter avec eux", affirme Sanaa
Rateb, 57 ans, collier de perles et veste fleurie.
Elle s’insurge également contre ceux d’entre eux, comme les Frères
musulmans, qui s’opposent à ce qu’un chrétien ou une femme se présente à
la présidence de la République.
"C’est une erreur. Où est le principe de citoyenneté dans tout ça ? J’ai
le droit, en tant que femme ou en tant que Copte, de me présenter à la
présidence si je le veux", dit-elle.
"Que Dieu nous protège si les islamistes arrivent au pouvoir et
contrôlent à la fois le Parlement et la présidence", lâche Nassim Ghaly,
un jeune homme qui arbore une croix tatouée sur le poignet, signe
distinctif des chrétiens d’Egypte.
Comme tous les Coptes interrogés mercredi dans le quartier, Mme Rateb et
Mr. Ghaly ont voté pour le dernier Premier ministre de Moubarak,
Ahmad Chafiq, dont les affiches électorales sont le plus visibles à
Chobra.
"Chafiq est un homme respectable, qui saura redresser le pays", dit
Mary, une quinquagénaire qui ne souhaite pas donner son nom de famille.
L’Eglise copte orthodoxe d’Egypte, dont le patriarche s’est éteint en
mars, s’est officiellement abstenue de donner toute consigne de vote,
mais Mary affirme que dans la communauté "tout le monde donne sa voix à
Chafiq".
Est-ce parce qu’elle le considère comme celui qui saura mieux défendre
les droits des chrétiens ? "Nous ne voulons pas qu’on nous défende. Nous
ne voulons juste pas de problèmes et qu’on nous laisse tranquilles",
répond-elle.
La communauté copte, qui représente de 6 à 10% des plus de 80 millions
d’Egyptiens, est traditionnellement discrète et peu présente dans les
cercles du pouvoir.
"Nous, ce qu’on veut, c’est un Etat non religieux" pour qu’il garantisse
les droits de toutes les confessions, dit Sanaa Halim, une sexagénaire.
"Les courants islamistes sont inquiétants", ajoute l’une de ses amies
qui refuse d’être identifiée. "Et puis qu’ont-ils fait au Parlement ?
Rien, sauf parler de femmes et d’excision", dit-elle.
Elle explique qu’elle pensait d’abord voter pour l’ancien ministre des
Affaires étrangères et ex-patron de la Ligue arabe Amr Moussa "parce que
c’est un homme expérimenté", mais qu’elle a fini par jeter son dévolu
sur Ahmad Chafiq "parce que tout le monde vote pour lui".
L’ancien chef d’état-major de l’armée de l’air, nommé Premier ministre
dans les derniers jours au pouvoir de Moubarak, est abhorré par les
jeunes qui ont lancé la "révolution" —musulmans comme chrétiens— qui le
qualifient de "fulul", terme péjoratif utilisé par les Egyptiens pour
décrire les "restes" de l’ancien régime.
"Si Chafiq est un fulul, alors nous sommes tous des fulul", lance crânement Nassim Ghaly.
Mais le sujet reste sensible. Beaucoup des personnes interrogées
préfèrent rester anonymes, fait inhabituel depuis le soulèvement qui a
renversé Hosni Moubarak, et la plupart chuchote pour ne pas être
entendue par le reste des électeurs.
Interrogée sur sa position vis-à-vis des islamistes, une jeune
chrétienne a sèchement répondu : "Désolée, je ne souhaite pas m’exprimer
sur ce sujet".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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