La Palestine a trouvé son héros. À 33 ans, le prisonnier Khodr Adnan,
militant du Jihad islamique, a réussi à faire plier les autorités
israéliennes. Mais il a frôlé la mort. Arrêté le 17 décembre dernier par
l’armée israélienne près de Jénine, en Cisjordanie, le militant
islamique a été emprisonné au seul motif qu’il mettait "en danger la
sécurité d’Israël". Ce traitement spécifique, appelé "détention
administrative", hérité du mandat britannique sur la Palestine, permet à
l’État hébreu d’incarcérer sans inculpation ni jugement un suspect pour
une période de six mois, renouvelable indéfiniment. Trois cent vingt
Palestiniens sont aujourd’hui dans le même cas, certains depuis
plusieurs années.
"Le niveau de preuve nécessaire à une détention administrative est
encore plus bas que pour les cas criminels", indique au Point.fr Bill
Van Esveld, rapporteur à Jérusalem de l’organisation Human Rights Watch.
"Aucune preuve n’est présentée au détenu ou à son avocat", ajoute-t-il.
Qualifié en février de "terroriste dangereux" par le porte-parole du
Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou - et donc promis à une
longue détention -, Khodr Adnan a décidé de recourir à la dernière
arme dont il disposait : la grève de la faim.
Pendant 66 jours (soit le même nombre de jours que le républicain
irlandais Bobby Sands, qui n’a, lui, pas survécu, NDLR), le militant a
refusé de s’alimenter, devenant le plus long gréviste de la faim de
l’histoire du conflit israélo-palestinien. Décrit par les médecins
indépendants qui l’ont vu comme "en danger immédiat de mort", le
prisonnier palestinien a finalement obtenu gain de cause, non sans avoir
perdu 40 kilos. Sa peine n’a pas été renouvelée, et il a été libéré le
17 avril dernier. Or ce qui devait marquer un heureux dénouement s’est
révélé être le début d’un mouvement sans précédent.
Inspirés par ce succès, ce sont près de 2 000 prisonniers, soit près
d’un tiers des 4 700 détenus palestiniens, qui ont pris le relais.
Mercredi, soit deux semaines après le lancement de l’opération, ils
étaient 2 000 selon l’Autorité palestinienne, 1 550 selon
l’administration pénitentiaire israélienne, à refuser de s’alimenter. La
relève est désormais assurée par Bilal Dia, 27 ans, et Thaer Halahla,
34 ans, tous deux accusés d’être membres du Jihad islamique. Ayant
entamé leur grève de la faim il y a 65 jours, soit peu après Khodr
Adnan, ils flirtent aujourd’hui avec son "record", mais le payent par
un état de santé des plus précaires.
Leurs revendications, aussi, se sont étendues. "Outre les détentions
administratives, ils protestent contre les conditions d’incarcération
des prisonniers palestiniens", explique au Point.fr Ran Cohen, membre de
l’organisation des Médecins pour les droits de l’homme-Israël. "Le
placement en isolement dans de petites cellules, le défaut de visites
pour les prisonniers originaires de Gaza ainsi que l’absence d’accès à
l’éducation et aux médias sont autant de droits qui leur ont été
confisqués lorsque le soldat franco-israélien Gilad Shalit a été fait
prisonnier, en 2006, par le Hamas", affirme le médecin.
Emprisonné pendant sept ans en Israël avant d’être libéré en décembre
dernier, le militant franco-palestinien Salah Hamouri décrit un "projet
délibéré visant à saper l’esprit et la connaissance politique des
prisonniers palestiniens". La libération, en octobre dernier, de son
compatriote Gilad Shalit, en échange d’un millier de détenus
palestiniens, n’a pas rétabli pour autant les droits des prisonniers
restants.
Interrogée par le Point.fr, la porte-parole de
l’administration pénitentiaire israélienne, Sivan Weizman, indique
qu’aucun accord et qu’aucune promesse n’ont été "signés" en ce sens. Au
sujet de l’absence de visites familiales pour les prisonniers de Gaza,
la porte-parole explique : "Les habitants de Gaza - et donc les familles
de détenus - n’ont pas l’autorisation de se rendre en Israël." Enfin,
Siva Weizman précise : "Les détenus palestiniens sont incarcérés selon
la loi nationale (israélienne, NDLR) et bénéficient de plus de droits
que dans d’autres pays."
Pourtant, mercredi, le rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de
l’homme dans les territoires palestiniens occupés, Richard Falk, est
monté au créneau en se déclarant "écoeuré par les violations continues
des droits de l’homme dans les prisons israéliennes". "Depuis 1967, 750
000 Palestiniens, dont 23 000 femmes et 25 000 enfants, ont été en
détention dans les prisons israéliennes, soit près de 20 % du total de
la population palestinienne des territoires occupés", a-t-il rappelé.
"Des prisonniers principalement arrêtés en territoire palestinien et
majoritairement jugés par des tribunaux militaires", souligne Bill Van
Esveld, rapporteur de Human Rights Watch à Jérusalem. "Les cours
martiales ont un taux de condamnation proche de 100 %. Pour elles,
l’activisme politique, c’est-à-dire accueillir des meetings ou le fait
d’exhiber des symboles nationalistes, demeure illégal sans l’obtention
d’un permis délivré par les militaires israéliens", précise le
chercheur.
"Le fait d’appartenir à une organisation définie comme terroriste par
Israël suffit dans beaucoup de cas à justifier une arrestation, sans
pour autant prouver que la loi a été enfreinte", renchérit Ran Cohen,
membre de l’organisation des Médecins pour les droits de l’homme-Israël.
De son côté, l’ex-détenu Salah Hamouri rappelle que la condamnation par
un tribunal militaire israélien est déjà illégale au regard du droit
international, puisque l’occupation et la colonisation des territoires
palestiniens par Israël ont été condamnées par le Conseil de sécurité de
l’ONU.
Le mouvement des grévistes palestiniens a vite dépassé le cadre des
prisons israéliennes. "Si un des prisonniers en grève de la faim meurt,
ce sera la fin de la trêve" avec Israël, conclue début mars, a averti
lundi un leader du Jihad islamique à Gaza, faisant ressurgir une autre
question soulevée par cette campagne palestinienne. En étant liées au
Jihad islamique, considéré comme terroriste par Israël, les États-Unis
et l’Union européenne, et dont la branche armée revendique la grande
majorité des tirs sur Israël, les grandes figures du mouvement des
prisonniers palestiniens ne délégitiment-elles pas leur cause ?
"Ce n’est pas le problème, répond Ran Cohen. Même les membres du Jihad
islamique méritent de savoir pourquoi ils sont en prison et de
bénéficier de protection. Il y a aussi des extrémistes juifs côté
israélien, et ils ne sont pas placés en détention administrative."
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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