Des journalistes frappés. Du matériel confisqué. Au total, depuis le
début de l’année 2012, près d’une trentaines de journalistes tunisiens
ont été agressés, selon le Syndicat national des journalistes tunisiens
(SNJT).
Pour la seule journée du 9 avril, ils étaient 15. Des
enquêtes ont été ouvertes mais n’ont, pour l’heure, pas abouti. Les
rapports entre le gouvernement et les médias, qu’ils soient publics ou
privés, semblent de plus en plus tendus. Une élue du parti Ennahda n’a
pas hésité à les traiter de "microbes" au sein de l’Assemblée
constituante. Nombreux sont les élus à fustiger les médias, estimant
qu’ils manquent de neutralité.
Perché sur les hauteurs de Tunis, le siège de la télévision nationale
cristallise les tensions. Depuis le 2 mars, des manifestants ont planté
leurs tentes demandant l’"épuration" de la rédaction, accusée d’entraver
le travail du gouvernement. Dans la plupart des médias publics, les
journalistes qui officiaient déjà sous Ben Ali sont toujours présents. À
l’époque, la télévision nationale, alors baptisée TV7, en référence au 7
novembre 1987, date du coup d’État de Ben Ali, informait au rythme des
communiqués officiels. Depuis le 14 janvier, les journalistes sont
livrés à eux-mêmes. Des sessions de formation ont été organisées par des
médias étrangers, mais il semble que cela n’ait pas été suffisant pour
l’opinion publique. Le 24 avril, des heurts ont eu lieu entre le
personnel de la chaîne et les protestataires. Quelques jours plus tard,
trois présentatrices du JT de 20 heures de la télévision nationale ont
décidé de démissionner afin de "relâcher la pression qui pèse sur la
chaîne", alors qu’un élu d’Ennahda, Ameur Laârayedh, n’écartait pas la
possibilité de la "privatisation" du service public tunisien.
"La privatisation des médias publics dans les pays en transition est une
vieille chimère. Cette idée peut être dangereuse. Le service public
doit libérer l’information de l’emprise commerciale. En Tunisie, le
paysage médiatique est en ruine. On doit instaurer un service public
garant d’une certaine qualité, et qui sera une locomotive vers le
professionnalisme", lance Riadh Ferjani, sociologue des médias. Un point
de vue que partage Larbi Chouikha, membre de l’Instance nationale pour
la réforme de l’Information et de la Communication (INRIC), qui a remis
le 30 avril un rapport virulent sur l’état des médias et les compétences
des journalistes au Premier ministre. Pour lui, il est temps que "les
médias gouvernementaux deviennent réellement des médias publics. C’est,
j’ai envie de dire, révolutionnaire".
La défiance avait commencé peu après la prise de fonction du
gouvernement Jebali. Le 7 janvier, le Premier ministre annonçait la
nomination de plusieurs personnes à la tête des médias publics,
déclenchant la colère des journalistes. Ni le SNJT, ni l’INRIC n’avaient
été consultés. Le gouvernement a réitéré fin avril. Habib Belaïd,
directeur de la radio nationale nommé au lendemain de la révolution, a
appris son éviction par son chauffeur. Son remplacement décidé le 17
avril a été publié au Journal officiel trois jours plus tard, sans qu’il
en soit averti.
"Il n’y a ni cadre juridique, ni cadre institutionnel à l’heure
actuelle", rappelle Larbi Chouikha, membre de l’INRIC, qui dénonce la
"méthode" et appelle de ses "voeux" l’application des décrets-lois 115
et 116, qui n’ont toujours pas été activés. Élaborés en septembre 2011
afin de renforcer la liberté de la presse, ils prévoient notamment la
création de la Haute Autorité indépendante de la communication
audiovisuelle (HAICA), une sorte de CSA qui devra notamment être en
charge des nominations.
"Le gouvernement veut garder le monopole sur les nominations des
responsables des médias publics", estime Mongi Khadraoui, secrétaire
général du SNJT, qui souligne qu’il "doit y avoir encore des traces de
corruption dans les médias, surtout les publics". Alors que le syndicat
des journalistes avait décidé en juin 2011 d’établir une "liste noire"
des journalistes corrompus sous Ben Ali, le ministère de l’Intérieur n’a
pas ouvert ses archives jusqu’ici.
"Il y a une impunité malsaine au sein des rédactions", note le
sociologue Riadh Ferjani, qui prône l’intégration des médias dans la
justice transitionnelle.
(03 mai 2012)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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