vendredi 4 mai 2012

Syrie : Baba Amr à Homs, meurtri par les bombes et peuplé de fantômes

Baba Amr à Homs, "repaire des terroristes" pour le régime syrien, "coeur de la révolution" pour les contempteurs de Bachar el-Assad, est aujourd’hui peuplé de fantômes qui se déplacent en silence à travers les gravats de leurs maisons. Ce quartier au centre de la ville, pilonné pendant deux mois au prix de centaines de morts, selon les militants, n’est qu’un amas de ruines. Les murs des maisons sont dentelés par les balles, perforés par les obus des chars ou par les lucarnes utilisées par les francs-tireurs, griffés par les éclats des bombes. Dans une rue déserte, une mère et ses deux enfants tirent une valise verte. "Nous avons pris quelques affaires. La maison n’est plus habitable. Mon mari et moi sommes ingénieurs, mais il n’y a plus de travail en ville, et donc pas d’argent pour la réhabiliter. Je pense que nous allons émigrer", explique d’une voix posée Oum Adnane, 55 ans.

Aucune maison n’a été épargnée. Construites en béton, elles se sont pourtant effondrées comme du carton-pâte. "Que Dieu leur pardonne le mal qu’ils nous ont fait", lance frémissante de colère Oum Abdo, 35 ans, venue avec son mari chercher des affaires dans ce qui fut leur maison, sans toutefois préciser de qui elle parle. Le second étage de l’immeuble s’est écroulé et la chape de béton a écrasé son appartement. "Les chars ont tiré sur les immeubles et nous avons fait une entaille dans le mur de notre jardin pour nous réfugier chez nos voisins", se souvient-elle.

De chez eux, "il a encore fallu partir, car les combats nous frôlaient dangereusement. Nous avons été abrités pendant six jours chez des gens que nous ne connaissions pas", dit-elle en tempêtant. Son mari et son fils lui demandent de baisser la voix, car les forces de sécurité patrouillent dans la rue. Elle le fait, mais dès qu’elle reprend son récit, son ton monte de nouveau. "Il ne reste rien de la demeure où j’ai vécu avec mon mari et mes trois enfants", ajoute-t-elle.

Interrogée sur la présence d’hommes armés, qui, selon les rebelles, "protégeaient" ce quartier de deux kilomètres carrés et, pour le régime, "tenaient en otage" les habitants, elle esquive la question. "Nous étions des gens qui vivions en paix", répond-elle. Son domicile était situé sur la ligne de front en face du quartier d’Inchaat contrôlé par les forces gouvernementales. La rue Karamé, large de quelques mètres à peine, séparait les protagonistes. En l’empruntant, on a le sentiment qu’ils se tiraient dessus à bout portant, qu’ils pouvaient presque sentir mutuellement leur haleine.

Les rebelles avaient créé des passages entre les maisons. "Ils avaient aménagé un long couloir qui leur permettait de tirer sur nos forces, puis de s’esquiver", assure le commandant Ahmed, 37 ans, en montrant les trous percés dans les immeubles. "Ils (les rebelles) ont tout détruit, car ils ne faisaient aucun cas des habitants", lance un autre militaire, promettant que le gouvernement indemnisera les résidents pour reconstruire leur demeure.

À chaque carrefour, les forces de sécurité ont installé des postes de contrôle avec le drapeau syrien et un portrait de Bachar el-Assad. Ils s’approchent parfois quand un journaliste de l’AFP pose des questions aux habitants. "J’ai quitté le quartier quand les hommes armés ont pris sous leur coupe le quartier, et maintenant que l’ordre a été rétabli, je suis revenu voir ce qu’il reste", assure Samer, 35 ans, dont le commerce en matériel électronique a également été pillé.

"Nous avons eu 200 soldats tués et 1 000 blessés dans cette bataille. Nous avons découvert 100 tonnes d’explosifs. Il a fallu avancer avec précaution, car ils avaient tout piégé. Cela nous a pris 28 jours", assure un officier des services de sécurité. "C’était le centre de triage des armes qui arrivaient du Liban. En délivrant ce quartier, nous avons réduit la contrebande d’armes, mais nous savons qu’il est impossible de l’arrêter complètement", ajoute-t-il. Devant les décombres de Baba Amr, les champs sont maculés d’une immense tache rouge. Ce sont des coquelicots. Là aussi, la guerre a laissé des traces : la terre est labourée par des éclats de mortier.

(03 mai 2012 - Al Oufok avec les agences de presse)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire