Baba Amr à Homs, "repaire des terroristes" pour le régime syrien,
"coeur de la révolution" pour les contempteurs de Bachar el-Assad, est
aujourd’hui peuplé de fantômes qui se déplacent en silence à travers les
gravats de leurs maisons. Ce quartier au centre de la ville, pilonné
pendant deux mois au prix de centaines de morts, selon les militants,
n’est qu’un amas de ruines. Les murs des maisons sont dentelés par les
balles, perforés par les obus des chars ou par les lucarnes utilisées
par les francs-tireurs, griffés par les éclats des bombes. Dans une rue
déserte, une mère et ses deux enfants tirent une valise verte. "Nous
avons pris quelques affaires. La maison n’est plus habitable. Mon mari
et moi sommes ingénieurs, mais il n’y a plus de travail en ville, et
donc pas d’argent pour la réhabiliter. Je pense que nous allons
émigrer", explique d’une voix posée Oum Adnane, 55 ans.
Aucune maison n’a été épargnée. Construites en béton, elles se sont
pourtant effondrées comme du carton-pâte. "Que Dieu leur pardonne le mal
qu’ils nous ont fait", lance frémissante de colère Oum Abdo, 35 ans,
venue avec son mari chercher des affaires dans ce qui fut leur maison,
sans toutefois préciser de qui elle parle. Le second étage de l’immeuble
s’est écroulé et la chape de béton a écrasé son appartement. "Les chars
ont tiré sur les immeubles et nous avons fait une entaille dans le mur
de notre jardin pour nous réfugier chez nos voisins", se souvient-elle.
De chez eux, "il a encore fallu partir, car les combats nous frôlaient
dangereusement. Nous avons été abrités pendant six jours chez des gens
que nous ne connaissions pas", dit-elle en tempêtant. Son mari et son
fils lui demandent de baisser la voix, car les forces de sécurité
patrouillent dans la rue. Elle le fait, mais dès qu’elle reprend son
récit, son ton monte de nouveau. "Il ne reste rien de la demeure où j’ai
vécu avec mon mari et mes trois enfants", ajoute-t-elle.
Interrogée sur la présence d’hommes armés, qui, selon les rebelles,
"protégeaient" ce quartier de deux kilomètres carrés et, pour le régime,
"tenaient en otage" les habitants, elle esquive la question. "Nous
étions des gens qui vivions en paix", répond-elle. Son domicile était
situé sur la ligne de front en face du quartier d’Inchaat contrôlé par
les forces gouvernementales. La rue Karamé, large de quelques mètres à
peine, séparait les protagonistes. En l’empruntant, on a le sentiment
qu’ils se tiraient dessus à bout portant, qu’ils pouvaient presque
sentir mutuellement leur haleine.
Les rebelles avaient créé des passages entre les maisons. "Ils avaient
aménagé un long couloir qui leur permettait de tirer sur nos forces,
puis de s’esquiver", assure le commandant Ahmed, 37 ans, en montrant les
trous percés dans les immeubles. "Ils (les rebelles) ont tout détruit,
car ils ne faisaient aucun cas des habitants", lance un autre militaire,
promettant que le gouvernement indemnisera les résidents pour
reconstruire leur demeure.
À chaque carrefour, les forces de sécurité ont installé des postes de
contrôle avec le drapeau syrien et un portrait de Bachar el-Assad. Ils
s’approchent parfois quand un journaliste de l’AFP pose des questions
aux habitants. "J’ai quitté le quartier quand les hommes armés ont pris
sous leur coupe le quartier, et maintenant que l’ordre a été rétabli, je
suis revenu voir ce qu’il reste", assure Samer, 35 ans, dont le
commerce en matériel électronique a également été pillé.
"Nous avons eu 200 soldats tués et 1 000 blessés dans cette bataille.
Nous avons découvert 100 tonnes d’explosifs. Il a fallu avancer avec
précaution, car ils avaient tout piégé. Cela nous a pris 28 jours",
assure un officier des services de sécurité. "C’était le centre de
triage des armes qui arrivaient du Liban. En délivrant ce quartier, nous
avons réduit la contrebande d’armes, mais nous savons qu’il est
impossible de l’arrêter complètement", ajoute-t-il. Devant les décombres
de Baba Amr, les champs sont maculés d’une immense tache rouge. Ce sont
des coquelicots. Là aussi, la guerre a laissé des traces : la terre est
labourée par des éclats de mortier.
(03 mai 2012 - Al Oufok avec les agences de presse)
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