Vendredi dernier, un convoi électoral d’une importance inconnue jusqu’ici a déboulé dans les rues du Caire. À l’aide de haut-parleurs, des dizaines de milliers de personnes scandaient : "Abu Ismaïl est notre président", "le peuple veut Abu Ismaïl". Ce candidat, qui vient d’échanger l’étiquette de salafiste avec celle d’islamiste indépendant, s’appelle Mohamed Hazem Abu Ismaïl, mais, pour ses partisans, c’est simplement Abu Ismaïl.
Au rythme de chants religieux et du slogan "nous vivrons dans la dignité", les passants ahuris ont vu défiler des voitures privées, des autobus, toute sorte de véhicules transportant des masses de citoyens barbus munis d’immenses photos de leur candidat. Et puis Abu Ismaïl est arrivé, pour présenter officiellement sa candidature à la présidence de la République. Sitôt pied à terre, il s’est retrouvé entouré par une foule en délire, chacun voulant l’embrasser, le féliciter...
Avec son discours à l’université du Caire, le 24 mars, puis avec ce rassemblement impressionnant, cet avocat de 51 ans, partisan d’un islam radical, s’est taillé la place de grand favori dans la course à la présidence. Les milieux politiques n’en reviennent pas. Ils n’ont jamais pris au sérieux l’annonce de sa candidature et, il y a peu encore, les sondages ne le créditaient que de 8 à 9 % des voix.
Personne n’a prêté suffisamment d’attention à sa montée politique. Depuis le début de la révolution, Abu Ismaïl a minutieusement tissé les fils de son accès au pouvoir. Il n’a pas quitté la place Tahrir, où se jouait l’avenir de l’Égypte. Il a su parler à la foule, il a prôné un islam rigoureux, la justice sociale, la lutte contre la misère et le chômage. Il portait alors son vêtement salafiste. Il a chanté avec les révolutionnaires "Le peuple et l’armée, main dans la main". Plus tard, quand les soldats sont intervenus plusieurs fois, et avec force, contre les manifestants, il a crié lui aussi : "L’armée dans les casernes, le pouvoir aux civils."
Abu Ismaïl n’est pas un inconnu pour le grand public. En 2000 et en 2005, il a brigué un siège au Parlement en s’inscrivant dans le camp des Frères musulmans sous l’étiquette de "candidat indépendant". Mais, à chaque fois, il a été battu par le candidat du parti au pouvoir. Pendant sept ans, il a prêché la doctrine salafiste dans les chaînes accordées à l’État à ce mouvement religieux. Il arborait alors la longue barbe carrée et la djellaba blanche et courte.
Mais en septembre 2011, le candidat à la présidence a changé de look. Il a raccourci sa barbe carrée et troqué sa djellaba contre un complet-veston. Il affirme aujourd’hui être un islamiste indépendant, entretenant de bonnes relations avec les Frères musulmans et les salafistes. Cependant, sa doctrine n’est pas étrangère à leurs convictions. On pourrait simplement dire qu’il est moins intransigeant que les salafistes et plus rigoureux que les membres de la confrérie. Ces derniers mois, il a réussi à attirer une partie de leur électorat.
Le 24 mars, lors d’un rassemblement à l’université du Caire, il a galvanisé des milliers d’étudiants. Ils ont apprécié son charisme, le ton mesuré de sa voix, son engagement en faveur de la charia (loi coranique), ses propos sur le développement de l’Égypte. Il a assuré que l’économie du pays dépendait du tourisme par la volonté des Occidentaux et a promis de multiplier par huit la part de l’industrie. Succès garanti.
Le candidat islamiste ne préconise pas l’application immédiate de la charia, mais son programme stipule qu’un dirigeant musulman doit appliquer les principes essentiels de la religion, à commencer par l’interdiction de l’alcool. Il souhaite que les femmes, musulmanes ou chrétiennes, soient voilées. L’article 2 de la Constitution déclare que la charia est la source principale de la religion. Abu Ismaïl le juge confus, et se propose de le réécrire.
La soudaine popularité de cet islamiste inquiète profondément les laïcs et les libéraux. Ils ont décidé de mener campagne contre lui et commencent par relever les contradictions de ses choix politiques. Il ne remet pas en question les relations de l’Égypte avec les États-Unis pendant les quatre prochaines années, mais ne s’engage pas pour l’avenir.
Il s’oppose aux accords de Camp David, mais ne remet pas en question le traité de paix avec l’État hébreu. Quant aux Coptes, 8 à 10 millions de fidèles, ils n’ont pas l’intention d’accepter l’amendement de l’article 2 de la Constitution, garant de leurs droits. Le document d’Al-Azhar, la plus haute autorité de l’islam sunnite s’y oppose, et les Frères musulmans l’ont accepté.
Reste à mesurer l’appui des mouvements islamistes. Les Frères musulmans, qui devaient décider mardi prochain de choisir ou non un candidat de la confrérie, viennent d’annoncer leur soutien à la candidature de Khayrat al-Chater, adjoint du guide suprême. Cette décision est peut-être la réponse à la popularité d’Abu Ismaïl. La campagne électorale pourrait se transformer en affrontements entre islamistes. À moins d’une union sur le choix d’un seul candidat.
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