Premier pays arabe à avoir conclu un accord de paix avec Israël,
l’Égypte, débarrassée de Hosni Moubarak, va-t-elle changer de politique
vis-à-vis de son voisin israélien ? Relativement absents de la place
Tahrir en 2011, les slogans anti-israéliens fleurissent désormais au
sein de l’opinion publique égyptienne, quitte à influer sur le pouvoir
détenu par l’armée depuis la chute du raïs. Cette hostilité s’est
cristallisée dernièrement par la rupture d’un important contrat gazier
signé entre les deux pays en 2005.
Dénoncé à l’époque par l’opposition islamiste, qui estimait que les
ressources naturelles du pays avaient été bradées, il symbolise la
frustration grandissante des Égyptiens quant aux conditions de l’accord
de paix conclu entre les deux pays en 1979 à Camp David. Invoquant le
"non-respect des conditions stipulées par le contrat", le président de
la holding gouvernementale Egas, Mohamed Chouaïb, a annoncé dimanche
l’annulation du contrat de 2,5 milliards de dollars portant sur la vente
annuelle pendant 15 ans de 1,7 milliard de mètres cubes de gaz naturel à
la Compagnie électrique israélienne (CEI).
Pourtant, au lendemain de l’annonce, le ministre égyptien de
l’Électricité, Hassan Younès, a laissé entendre que son pays souhaitait
avant tout utiliser le gaz pour ses propres centrales électriques, avant
que la ministre égyptienne de la Coopération internationale, Fayza
Aboul Naga, n’annonce que "la partie égyptienne n’a(vait) pas
d’objection pour parvenir à un nouveau contrat, avec un nouveau prix et
de nouvelles conditions". Pour Jean-Noël Ferrié, directeur de recherche
au CNRS et spécialiste de l’Égypte, "cette annonce de la rupture du
contrat a un lien très direct avec l’arrivée des militaires égyptiens au
pouvoir, à l’origine d’un refroidissement marqué des relations entre
l’Égypte et Israël". À Jérusalem, le ministre israélien des Affaires
étrangères, Avigdor Liberman, a minimisé lundi l’importance de
l’annulation du contrat, assurant à la radio publique qu’il s’agissait
d’un "différend commercial" sans conséquence sur les relations
bilatérales.
Professeur en sciences politiques à l’université ouverte d’Israël, Denis
Charbit note que "le gouvernement israélien essaie de faire profil bas
et de ne pas exploiter l’affaire comme témoignant d’un différend majeur
entre les deux pays". Le politologue évoque tout de même les
répercussions immédiates d’une telle décision pour Israël, qui achète à
l’Égypte 43 % du gaz naturel qu’il consomme. "Israël va devoir trouver
un substitut. On annonce déjà que l’électricité (dont 40 % est produit
en Israël à partir du gaz, NDLR) et le prix du gaz vont augmenter. Mais
on n’annonce pas de crise grave", ajoute-t-il.
Or, le différend commercial a vite tourné à la querelle diplomatique. À
l’annonce dimanche soir de la rupture de l’accord gazier, le ministre
israélien des Finances, Yuval Steinitz, a déclaré qu’il s’agissait d’un
"dangereux précédent qui jette un voile sur les accords de paix entre
l’Égypte et Israël", selon Reuters. De son côté, le lieutenant-général
Benny Gantz, chef d’état-major de Tsahal, a averti que les troupes
israéliennes se tenaient prêtes à toute confrontation dans le cas où
l’Égypte se serait transformée en un ennemi", a rapporté lundi le
quotidien égyptien al-Youm al-Saba en citant la radio publique
israélienne.
Mais les critiques les plus acerbes sont venues de l’opposition
israélienne. Nouveau leader du parti centriste Kadima, Shaul Mofaz a
décrit la décision égyptienne comme une violation pure et simple des
accords économiques inclus dans l’accord de paix de Camp David, rapporte
Al Arabiya. Signés le 26 mars 1979 à Washington, ces accords ont permis
à l’Égypte de récupérer le territoire du Sinaï en 1982, après le
retrait de l’armée israélienne et le démantèlement d’implantations
juives.
En contrepartie, Israël a obtenu une normalisation des
relations diplomatiques et économiques avec son voisin, ainsi que des
garanties sur la liberté de circulation sur le canal de Suez. "L’accord
gazier, réalisé entre deux sociétés privées, a été appuyé par les deux
États dans le cadre de la normalisation économique entre les deux pays",
explique Denis Charbit. "Mais sa rupture ne constitue en aucun cas une
violation des accords de Camp David."
L’idylle entre Le Caire et Jérusalem a subi de sérieux contrecoups
depuis la chute du président Hosni Moubarak. En août 2011, l’armée
israélienne, qui poursuivait les auteurs d’attentats commis dans le sud
d’Israël, a abattu cinq policiers égyptiens à la frontière, provoquant
l’attaque de l’ambassade d’Israël au Caire en septembre, et la réduction
de son personnel diplomatique. Autre mésaventure, depuis la révolution
égyptienne, le gazoduc par lequel l’Égypte approvisionne Israël et la
Jordanie par le biais du Sinaï a été saboté pratiquement une fois par
mois.
Un refroidissement qui pourrait s’accentuer avec le départ annoncé de
l’armée, au profit des Frères musulmans, grands vainqueurs des élections
législatives de novembre, et dont le Hamas palestinien est une
émanation. "Les accords de Camp David ne sont absolument pas remis en
cause", insiste Jean-Noël Ferrié. "Le principal souci de l’Égypte
aujourd’hui est de remettre en place l’économie, massacrée par la
période révolutionnaire, pas d’ouvrir un conflit avec Israël." Difficile
également d’imaginer le pays renoncer à l’aide militaire annuelle de
1,3 milliard de dollars apportée par les États-Unis, en échange de la
paix avec son voisin.
Ainsi, pour le spécialiste de l’Égypte, la rupture de l’accord gazier ne
possède en réalité qu’une portée symbolique. "Elle marque une paix
froide entre les deux pays tout en permettant au nationalisme égyptien
de s’exprimer", note-t-il. "La fin des visites officielles entre les
deux pays importe peu à Israël", renchérit de son côté le politologue
Denis Charbit. "Si la familiarité qui existait entre les deux pays n’est
plus, Israël reste concentré sur les affaires stratégiques."
En tête des préoccupations israéliennes figure actuellement la délicate
question du contrôle du Sinaï. Cette vaste péninsule égyptienne demeure
particulièrement sensible, en raison des tensions avec la communauté
bédouine qui y vit et de multiples trafics avec l’enclave palestinienne
de Gaza. Or, son littoral balnéaire demeure particulièrement prisé des
touristes israéliens. Averti du risque imminent d’attentats contre ses
citoyens, l’État israélien a appelé le 21 avril dernier ses
ressortissants à revenir au plus vite au pays. Israël s’emploie
actuellement à construire une "barrière de sécurité" qui doit s’étirer
sur les 240 kilomètres de sa frontière face au désert du Sinaï.
(24 avril 2012 - Par Armin Arefi - Le Point)
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