Le jeudi 26 avril, la Haute Commission électorale a publié la liste
des candidats admis à briguer la présidence de la République. Cette
liste a comporté une seule surprise, le retour en grâce du général Ahmed
Chafik, éphémère Premier ministre à la fin du régime Moubarak, et
ancien ministre de l’Aviation civile.
La candidature de Chafik avait été annulée au soir du 24 avril par la
Commission électorale en vertu d’une loi, votée le 12 par le Parlement,
qui privait de leurs droits politiques les responsables du régime
Moubarak pendant dix ans. Le Conseil suprême des forces armées a
approuvé la loi, d’où l’exclusion d’Ahmed Chafik. Mais les avocats du
général ont plaidé l’anticonstitutionnalité de cette loi, parce qu’à
effet rétroactif, et la commission électorale est revenue sur sa
décision, provoquant la colère des Frères musulmans.
Pour les parlementaires du PLJ (Parti de la liberté et de la justice,
bras politique de la confrérie), la Haute Commission électorale obéit
aux instructions du pouvoir militaire. La manifestation du 27 avril,
place Tahrir, portait pour le troisième vendredi le même titre : "Sauver
la révolution".
Nombre de journaux égyptiens ont vu dans la réintégration d’Ahmed Chafik
un nouveau revers imposé par l’armée au Parlement à majorité islamiste.
Simple épisode du duel qui oppose les deux forces principales du pays
depuis la fin des législatives qui ont donné une victoire absolue aux
islamistes. Une victoire à laquelle ne s’attendaient ni le pouvoir
militaire ni les Frères musulmans.
Majoritaires au Parlement (47 % des sièges au PLJ et 24 aux salafistes)
et au Conseil consultatif (sorte de Sénat), les islamistes ont haussé le
ton face aux militaires. Ils ont réclamé le renvoi du gouvernement
dirigé par Kamal al-Ganzuri afin de former un gouvernement de coalition
nationale dont ils seraient les dirigeants. Les militaires ont refusé.
C’est le point de départ du conflit.
Le 10 mars, dès le premier jour de la présentation des candidatures pour
la présidence, Mansur Hassan, chef du Comité consultatif formé par le
pouvoir militaire en décembre 2011, a présenté son nom. Il va de soi
qu’il aurait l’aval de l’armée. De plus, il avait eu des contacts
discrets avec les Frères musulmans. On le voyait déjà sous les traits du
candidat consensuel. Mais la confrérie a retiré son soutien, et Hassan
sa candidature.
Nouvel épisode. Selon la Constitution provisoire, les deux chambres
doivent nommer les cent personnalités chargées de rédiger la nouvelle
Constitution. Elles s’attribuent 50 % des sièges, décision contestable.
Il fallait soumettre au vote les noms des 50 % de rédacteurs non
parlementaires. Les islamistes s’attribuent 15 sièges, et choisissent
des personnes souvent non qualifiées, dont un joueur de football. Les
députés laïques et libéraux refusent de voter, et condamnent cette
assemblée constituante à majorité islamiste, qui cherchera à imposer la
loi coranique. Ils demandent au tribunal administratif de l’invalider.
L’Assemblée siège le 24 mars. Mais peu à peu, des membres élus
l’abandonnent. Le 30 mars, Al-Azhar retire son délégué, puis l’Église
copte orthodoxe suit cet exemple, ce qui la discrédite plus encore.
Le 30 mars, Hazem Abu Ismaïl, leader salafiste, se rend au siège de la
Haute Commission électorale pour poser sa candidature à la présidence de
la République. Des dizaines de milliers de militants l’accompagnent.
C’est une véritable ovation populaire. Les affiches "Abu Ismaïl pour
président" peuplent les rues du Caire. C’est peut-être la raison qui a
conduit les Frères musulmans, malgré leur promesse de ne pas briguer la
présidence de la République en 2012, à désigner le 1er avril leur propre
candidat : Khairat Al-Chater, adjoint du guide suprême, mais aussi
éminence grise et grand argentier de la confrérie.
On assiste alors à un jeu politique de grande envergure. Omar
Suleiman, ancien chef des renseignements et vice-président de la
République pendant dix jours, pose sa candidature le 6 avril, 48 heures
avant la date butoir. Il attaque aussitôt les Frères musulmans, et
promet que l’islamisme ne survivra pas en Égypte. Il promet aussi la fin
du chaos et la stabilité économique. Il occupe aussitôt la première
place dans les rangs des favoris.
Le mois d’avril sera fertile en actes inattendus. Le 10 avril, le
tribunal administratif suspend la commission constituante. C’est un coup
très dur pour les islamistes qui s’apprêtaient à dicter leurs volontés.
Le 12 avril, le Parlement vote la loi qui écarte de la vie politique,
et pour dix ans, les responsables de l’ère Moubarak. Une loi taillée sur
mesure pour écarter Omar Suleiman et Ahmed Chafik.
Le 14 avril, la Haute Commission électorale élimine dix candidats à la
présidence de la République, dont un célèbre trio : Abu Ismaïl, parce
que sa mère avait une double nationalité ( égyptienne et américaine), ce
qui est contraire à la loi ; Khairat al-Chater, parce qu’il a été
condamné à sept ans de prison sous le régime Moubarak et que la grâce
accordée par le maréchal Tantawi ne lui permet pas d’exercer ses droits
politiques avant six ans ; Omar Suleiman, parce qu’il lui manque
mille signatures de partisans dans l’un des gouvernorats.
Nombre d’analystes verront dans la candidature de Suleiman, puis son
exclusion, un jeu politique, un moyen de montrer que la Commission
respecte la loi, quitte à éliminer un personnage important. La confrérie
avait préparé un candidat de rechange : Mohamed Morsi, le président du
PLJ. Mais Abu Ismaïl et ses partisans déclarent qu’ils ne renonceront
pas à la présidence. Ils font depuis lors du sit-in à la place Tahrir,
et défilent par milliers chaque vendredi avec des portraits de leur
patron.
Ce chaos politique montre bien que l’armée, qui gère l’Égypte depuis 60
ans, n’a pas l’intention d’abandonner ses prérogatives. Il lui faut un
statut privilégié dans la future Constitution. Mais les Frères
musulmans, qui ont commis l’erreur de vouloir s’approprier tous les
leviers du pouvoir, souhaitent placer l’élaboration de la Constitution
après l’élection présidentielle.
Dans ce contexte difficile, quatre candidats font figure de favoris.
Ahmed Chafik, qui s’efforcera de satisfaire toutes les revendications de
l’armée. Amr Moussa, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, qui
jouit de l’appui des libéraux, à commencer par le parti Al-Wafd, et qui
est populaire dans les milieux de la haute et moyenne bourgeoisie.
Moussa a eu l’initiative habile de promettre une place privilégiée à
l’armée.
Côté islamiste, les deux autres candidats sont, en premier lieu, Abdel
Moneim Abul Futuh, soutenu par la jeunesse de la confrérie, et nombre
de Frères musulmans qui ont rejeté la participation de l’institution à
l’élection présidentielle. Abul Futuh se déclare modéré.
Il
affirme qu’il ne brandira pas l’étendard de la loi coranique, et
entretient de bonnes relations avec les chrétiens d’Égypte. Il s’est
engagé à respecter la liberté de religion, d’expression...
Mohamed
Morsi, candidat de rechange des Frères musulmans, est peu connu de la
base et ne possède aucun charisme. Il aura cependant le soutien d’une
bonne partie des militants. Ses chances seraient encore plus grandes si
les islamistes s’entendaient sur le choix d’un seul candidat. Mais toute
élection présidentielle réserve des surprises.
(28 avril 2012 - Avec les agences de presse)
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