lundi 30 avril 2012

Tunisie : Borj Erroumi, la prison synonyme d’enfer carcéral, compte ses jours

"Borj Erroumi, plus jamais ça !" : la banderole rouge et blanc claque au vent annonçant la fermeture prochaine du célèbre bagne de Bizerte (Tunisie). Elle va devenir un musée, témoin de l’horreur vécue par des générations de prisonniers tunisiens durant plus de 35 ans.

Balayée par les vents humides de la Méditerranée sur les hauteurs de la ville et base militaire de Bizerte à la pointe nord de la Tunisie, la prison Nadhour dite Borj Erroumi incarnait l’enfer carcéral. Mais la révolution de janvier 2011 a finalement eu raison d’elle.

A l’ombre de pins centenaires, barbelés, miradors et hautes murailles décrépies indiquent l’entrée. Le personnel ouvre les portes devant Noureddine Bhiri, le ministre de la Justice venu confirmer la fermeture définitive du bagne en juin.

"C’est un moment de liberté. Un symbole de l’unité et de la lutte des Tunisiens toutes tendances politiques confondues face à l’oppression et à l’injustice", lance cet ancien détenu du parti islamiste qui domine le gouvernement issu des élections post-révolution."Nous accomplissons un devoir de mémoire", ajoute-t-il, s’adressant à d’anciens détenus islamistes, nationalistes ou de gauche émus aux larmes sur les lieux où ils avaient croupi sous les règnes du président Ben Ali déchu en janvier 2011 et de son prédécesseur Habib Bourguiba (1956-1987).

"Grâce ! grâce !", crient à tue tête des prisonniers au passage du ministre. Pour les 500 pensionnaires de la prison, désormais tous de droit commun, cette visite suscite l’espoir d’une libération. L’amnistie décrétée au lendemain du soulèvement qui a chassé Ben Ali a en effet libéré tous les prisonniers politiques."Ils parlent de réconciliation n’avons nous pas droit au chapitre ?", vocifère Mounir, 39 ans, derrière les barreaux. "Je suis là pour 30 ans à cause d’un seul vol, ceux qui ont volé et sévi 23 ans sont libres eux", se lamente-t-il parlant du clan de Ben Ali.

Des gradés interrompent la conversation. Il faut s’arrêter à la cave : une fosse creusée sous terre à même la roche pour les condamnés à mort, les bagnards, et les parias de tout bord.Une odeur nauséabonde monte à la gorge, l’air est irrespirable, le toit dégouline et les murs sont verts de moisissure. Sur le sol en béton, les anneaux qui servaient à enchaîner les prisonniers aux pieds témoignent."Je suis effarée, ce lieu respire l’horreur de la torture", lâche Me Radia Nasraoui, présidente de l’Association tunisienne de lutte contre la torture. Avant la chute de Ben Ali, elle y visitait ses clients mais aussi son époux Hamma Hammami, chef du Parti communiste ouvrier (PCOT).

Ex-opposants nationalistes octogénaires, militants de gauche des années 1970 ou islamistes condamnés à l’isolement sous Ben Ali sont de la visite.

Tous récitent une prière pour les disparus qui par leur sacrifices tout au long de l’histoire "ont contribué à l’avènement de la révolution", soutient M. Bhiri.

"Voici venu le jour où nous tournons la page noire de cette prison pour mettre au jour les annales de la torture", espère ce partisan du leader nationaliste Salah Ben Youssef, rival de Bourguiba assassiné.Pour Tahar Chagrouch, du groupe de gauche "Perspectives" qui a connu la torture, "le moment est très fort". "J’ai rêvé de liberté et de justice mais pas de vivre un tel moment", dit-il, scrutant la sinistre fosse, qui n’est plus utilisée.

Et comme les pensionnaires, le personnel pénitentiaire rêve en attendant de quitter Borj Erroumi, à l’origine un bunker de l’armée française construit en 1932 sous le protectorat de la Tunisie."Nous voulons des établissements corrects, des comportements humains. En bref, la dignité", insiste Karim, un gradé de la "nouvelle génération".

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