mercredi 11 avril 2012

Le syndrome Khader Adnan

L’histoire est entrée dans le livre d’or de la résistance palestinienne à l’occupation israélienne. En février, un modeste boulanger de Jénine, Khader Adnan, emprisonné en Israël, a fait plier ses geôliers au prix d’une grève de la faim de 66 jours. Il a obtenu d’être libéré à la fin de sa période de quatre mois de détention administrative, alors que cette procédure d’exception, qui autorise les autorités israéliennes à incarcérer la moindre personne jugée à risque sans prononcer d’inculpation, est renouvelable indéfiniment.
Dans la foulée de cette victoire, une dizaine d’autres détenus administratifs parmi les trois cents et quelques recensés par l’organisation de défense des droits de l’homme israélienne B’Tselem ont cessé à leur tour de s’alimenter. Parmi eux, Hana Shalabi, âgée de 30 ans, membre comme Khader Adnan du Djihad islamique, une petite formation islamiste responsable dans le passé d’attentats suicides en Israël. Début avril, à bout de forces après quarante-trois jours sans se nourrir, la jeune femme a accepté d’être expulsée pour trois ans dans la bande de Gaza

Le combat mené par ces deux figures, hissées sur les réseaux sociaux au rang d’icônes de la résistance palestinienne, a relancé les spéculations sur le déclenchement d’une troisième intifada. L’obstination du jeune homme, prêt à mourir menotté sur son lit d’hôpital, dans un geste sacrificiel mais non violent - l’exact inverse des opérations kamikazes auquel le Djihad islamique avait habitué Israël - avait déstabilisé le gouvernement de Benyamin Nétanyahou. L’approche d’une audience de la Cour suprême israélienne sur le cas Adnan, qui aurait pu remettre en cause l’usage extensif que l’Etat juif fait de la détention administrative, avait finalement incité celui-ci à céder.

Cette victoire exemplaire sur la puissance occupante allait-elle inspirer les Palestiniens ? Les habitants des villes de Cisjordanie allaient-ils imiter leurs cousins des campagnes qui ont intégré, depuis plusieurs années déjà, les vertus de la lutte populaire et pacifique, comme le prouvent les manifestations organisées chaque semaine à Bilin, Nilin, Nabi Saleh et une poignée d’autres villages ? La réponse est négative.

Le 30 mars, pour la journée de la Terre, date emblématique du calendrier politique palestinien, l’affluence a été faible. Faute de troupes et d’encadrement suffisants, la marche non violente prévue vers le check-point de Qalandya, en lisière de Jérusalem, a tourné au traditionnel affrontement à coups de pierres et de lacrymogènes avec les soldats israéliens auquel se sont ajoutés des heurts entre manifestants, en désaccord sur la tactique à suivre.

Plutôt que d’être annonciateur d’une remobilisation populaire, la grève de la faim de Khader Adnan, acte de rébellion individuel par excellence, est le signe d’un collectif en crise. Il est le révélateur de l’incapacité du corps social et politique palestinien à dégager une alternative au double échec de la lutte armée - à laquelle les partis ont presque tous renoncé - et du processus de paix - auxquels ils ne croient plus.

La matrice de contrôle israélienne entretient en permanence cet état d’impuissance. Le morcellement des territoires occupés par les check-points, les colonies et la barrière de séparation entravent la circulation non seulement des personnes, mais aussi des idées et des énergies. En 1967, à l’issue de la guerre des Six-Jours, l’occupation par Israël de la Cisjordanie et de Gaza, jusque-là sous tutelle jordanienne et égyptienne, avait permis aux populations de ces deux territoires de se retrouver et d’échanger, suscitant un dynamisme et une créativité dont la première Intifada s’était nourrie. Inversement, la politique d’isolement de Gaza, initiée par Israël en 1991, renforcée avec la vague d’attentats des années 1990, systématisée durant la seconde Intifada et couronnée par la fracture entre le Hamas et le Fatah qui perdure à ce jour, contribue au désarroi ambiant.

Mais les dirigeants palestiniens alimentent aussi cette apathie. En Cisjordanie, destinataire privilégiée des millions de dollars versés par les pays donateurs, le Fatah du président Mahmoud Abbas semble plus intéressé par la préservation de cette manne que par la lutte nationale et les sacrifices qu’elle requiert. L’industrie de l’aide a fait naître une nouvelle élite urbaine, directement attachée au maintien du statu quo. Elle roule en 4 × 4 rutilant, sort dans les bars branchés de Ramallah et habite de luxueuses résidences, protégées par un gardien à l’entrée. Dans un territoire déjà saturé de barrages, le paradoxe est piquant...

A Gaza, toujours sous embargo, la tentation du consumérisme est évidemment moins forte. Mais le Hamas, jaloux de son fief et adepte du temps long, ne paraît pas non plus pressé de ranimer le nationalisme palestinien. Il se repose sur les victoires, en cours ou annoncées, de ses frères islamistes dans la région.

Signe des temps, aussi bien la police du Fatah que celle du Hamas ont refoulé le 30 mars, lors de la Journée de la Terre, des manifestants en marche vers des positions israéliennes. Trois jours plus tôt, Marwan Barghouti, le héraut de la seconde Intifada, avait appelé à un nouveau soulèvement. Sa harangue n’a guère porté au-delà des quatre murs de la cellule israélienne où il purge une peine de prison à vie.

(11 avril 2012 - Benjamin Barthe - "Le Monde")

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