mercredi 11 avril 2012

Tunisie : des élus se mobilisent contre la répression

"Nous sommes là pour libérer l’avenue Habib Bourguiba, pour défendre la révolution tunisienne qui est sérieusement menacée." Maya Jribi, la secrétaire générale du Parti démocrate progressiste, serre le bras de Nejib Chebbi, le fondateur du parti. Leurs écharpes d’élu en bandoulière, ils marchent avec une quinzaine d’autres élus de l’Assemblée constituante, mardi 10 avril à 15 h 30, sur l’avenue Habib Bourguiba pour protester contre les violences de la veille et réclamer la liberté de manifester. Lundi, des centaines de manifestants, qui tentaient de défiler sur l’avenue Habib Bourguiba, ont été violemment réprimés. Le 28 mars, le ministère de l’Intérieur avait interdit toute manifestation sur cette avenue de Tunis à la suite d’une altercation entre des salafistes et des comédiens quelques jours plus tôt.

Mardi, sur l’avenue Bourguiba, les terrasses des cafés ont retrouvé leurs habitués et les passants font du lèche-vitrine. Une centaine de personnes se greffent à la marche des députés, en direction du ministère de l’Intérieur. D’autres manifestants sont barricadés derrière un barrage de policiers, place Ibn Khaldoun, devant l’ambassade de France.

Devant le ministère de l’Intérieur, Olfa Lajili, membre du Mouvement du 24 octobre, un bandage à la main droite, assure avoir été "frappée près de l’hôtel Africa hier [le 9 avril, NDLR], parce qu’[elle] essayait de mettre à l’abri une personne unijambiste". "La répression policière [de lundi] est inconcevable, surtout lorsqu’un pays est en pleine transition démocratique", poursuit-elle, précisant qu’elle ne "veut pas la démission du gouvernement. Ils s’autodétruisent. Ils n’ont rien fait pendant 100 jours. C’est une épreuve à passer. Les gens doivent pouvoir choisir démocratiquement."

Des grillages métalliques bloquent l’accès au bâtiment ministériel. Un policier empoigne un mégaphone et prévient les manifestants : "Dans dix minutes, si vous ne vous dispersez pas, nous devrons intervenir." Il le dira plusieurs fois. Un homme en costume-cravate avec des lunettes de soleil le défie. Il est applaudi. L’intervention policière se fera pacifiquement tandis que la foule scande "ministère de l’Intérieur, ministère terroriste !" "Les nahdaouis ont trahi la révolution !" hurle Ferdaoui. Cette Tunisienne de 30 ans n’était pas présente le 9 avril. Elle est venue "en solidarité avec toutes les personnes qui ont été agressées pendant la manifestation".

Des violences jugées "inacceptables" le soir même par Moncef Marzouki. Le président de la République, qui intervenait à l’antenne de la télévision nationale, a toutefois renvoyé dos à dos manifestants et forces de l’ordre. Selon lui, "seize agents de police auraient été blessés".

La société civile, elle, a qualifié ce lundi d’avril de "journée noire". "Ils ont atteint un point de non-retour. Ils avaient clairement des consignes", a déclaré Emna Menif, membre du l’association Kolna Tounes. Contactée par téléphone alors qu’elle venait de rencontrer Mustapha Ben Jaâfar, le président de l’Assemblée constituante, elle explique : "Avec Samir Ettaieb et Jaouhar Ben Mbarek, on a essayé de négocier avec un responsable sur l’avenue Mohamed V. Et il nous a dit qu’on allait subir une répression violente si on ne partait pas."

Amnesty International demande l’ouverture d’une enquête contre les violences. Reporters sans frontières a recensé 16 journalistes agressés. Nombreux sont les partis politiques à avoir également réagi, comme ceux de la troïka au gouvernement. Ettakatol, parti de Mustapha Ben Jaâfar, le président de l’Assemblée constituante, réclame une enquête sur "les abus et exige l’identification des civils douteux qui ont participé à la répression des manifestants". Le Congrès pour la République, parti du président Moncef Marzouki, a estimé, de son côté, qu’"un grand nombre d’agents des forces de l’ordre et des personnes en civil" ont fait face avec "une violence effrénée" aux manifestants, parlant de " répression sauvage" et de "traitement inacceptable". Rached Ghannouchi, le président du mouvement Ennahda, a eu une réaction plus mesurée : "La violence est condamnable dans un État de droit, a-t-il déclaré, mais les violations de la loi sont aussi condamnables", affirmant que le pays "n’était pas menacé par la dictature", mais par "le chaos".

"Nous n’avons rien contre les manifestants. Nous protégeons la population, les magasins et les habitations. Hier, nous avons réagi par la force en application d’une décision du ministère de l’Intérieur et parce que certains de nos agents ont été pris pour cible avec des pierres et des bâtons", a répondu Taoufik Dimassi, le directeur de la sécurité publique, aux journalistes présents devant le ministère de l’Intérieur le 10 avril. Ali Laarayed, le ministre de l’Intérieur, a demandé à toute personne en possession de photos de les remettre à son ministère afin d’identifier les personnes en civil coupables de violences. Le ministre a été "convoqué" pour s’expliquer le 12 avril devant l’Assemblée constituante.

Dans plusieurs villes du pays, comme à Sfax, Kasserine ou encore Sidi Bouzid, des manifestants sont descendus dans la rue en soutien aux "manifestants de l’avenue Bourguiba". À Monastir, un local d’Ennahda a été incendié.

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