La brutale répression policière lundi de manifestations interdites à Tunis marque "un point de non retour", estiment société civile et militants tunisiens, face à des autorités qui martèlent la nécessité de respecter la loi et renvoient dos à dos policiers et manifestants.
"Lundi noir", "méthodes fascistes", "sauvagerie"... en dépit d’une dramatisation parfois outrancière, l’indignation est réelle. Les scènes de violence inédites depuis de la révolution ont profondément choqué, et nombre de Tunisiens se sont sentis ramenés aux jours dramatiques qui ont précédé la fuite de Ben Ali.
"On est tous en ébullition, ce qui s’est passé est horrible et un point de non retour a été franchi", a déclaré à l’AFP Sadoua Elleuch, une responsable du réseau Doustourna, un mouvement de la société civile.
"Voir des personnalités éminentes, des responsables de mouvements, traités de la sorte est inconcevable", a-t-elle ajouté. Le leader du réseau Doustourna Jawar Ben Mbarek a été violemment interpellé lors des manifestations, des membres de l’Assemblée constituante ont été bousculés, des journalistes molestés.
Leur syndicat a d’ailleurs appelé lundi les journalistes à boycotter pendant une semaine les activités du ministre de l’Intérieur, Ali Larayedh. "Les policiers ont été très très violents, j’ai eu l’impression de revivre des choses qu’on vivait sous Ben Ali", a déclaré pour sa part l’avocate Radhia Nasraoui. "Ce gouvernement ne trouve pas de solutions aux problèmes des Tunisiens, par contre, pour tabasser il n’a pas perdu la main", a-t-elle ajouté à l’AFP.
Samedi dernier déjà, la violente dispersion de diplômés-chômeurs par des policiers avait choqué de nombreux Tunisiens, à un moment où le taux du chômage (19%) constitue la principale plaie du pays.
Nombre de manifestants se sont également indignés du "deux poids deux mesures" pratiqué selon eux par les autorités, qui répriment sur leur gauche mais "laissent agir en toute impunité" les salafistes.
Face à l’indignation, et aux photos et vidéos de brutalités policières qui tournent en boucle sur internet, le gouvernement et le parti islamiste Ennahda sont restés de marbre.
Lors d’un rassemblement lundi à Tunis, au moment où les violences continuaient dans le centre ville, le chef d’Ennahda Rached Ghannouchi n’a pas fait la moindre allusion aux incidents.
Le ministère de l’Intérieur a réitéré l’illégalité de la manifestation —l’avenue Bourguiba étant interdite aux rassemblements depuis le 28 mars— et accusé les manifestants d’avoir délibérément enfreint la loi.
Seul le président tunisien Moncef Marzouki, dont le parti de gauche Congrès pour la République est allié aux islamistes, a condamné une "violence inacceptable", mais il a renvoyé dos à dos manifestants et policiers.
"Il faut sortir de l’émotion et créer une commission d’enquête indépendante" estime l’analyste Fayçal Chérif. "Le gouvernement est dans son rôle quand il rappelle le respect de la loi, les manifestants dans le leur quand ils dénoncent la répression".
"Je ne crois pas que ce qui s’est passé aura un impact profond sur la base électorale d’Ennahda", estime-t-il, interrogé par l’AFP sur les répercussions de cette journée du 9 avril.
Une analyse partagée par le sociologue Salem Labieh, pour qui "l’indignation reste pour le moment au niveau de l’élite politique et intellectuelle". "Les incidents d’hier étaient limités et localisés, après si ça se reproduit en province ce sera une autre question".
Le sociologue insiste sur la nécessité et l’urgence symbolique de rouvrir l’avenue Habib Bourguiba aux manifestations. Interdire cette artère emblématique aux rassemblements était "une décision improvisée" dont les autorités n’ont pas mesuré les conséquences, estime-t-il.
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