Cette semaine, les groupes parlementaires tunisiens ont chacun livré leur vision de la teneur de la Constitution dont doit se doter le pays. Le débat organisé mardi 28 février à l’Assemblée nationale constituante sur le sujet, relayé par le journal tunisien arabophone Assabah, a vu différentes visions se confronter. Même si les convergences demeurent importantes sur la nature de l’Etat "civil et démocratique, où le peuple est souverain, la séparation des pouvoirs, garantie, et le retour au despotisme, à jamais proscrit".
Là où les désaccords demeurent, en revanche, c’est sur la place de l’Islam dans la nouvelle Constitution. Le mouvement islamiste Ennahdha, majoritaire à l’Assemblée nationale constituante avec 89 sièges, prône une constitution profondément imprégnée des valeurs de l’islam. "Les principes de la constitution doivent s’inspirer de trois principales références : le système des valeurs islamiques, l’héritage réformateur tunisien et les acquis de l’humanité, sans fanatisme, enfermement ou défaitisme", a fait valoir Sahbi Atig, chef du groupe parlementaire d’Ennahdha.
"La religion ne relève pas du domaine privé, mais d’un ordre public et d’un mode de vie ; celui qui cherche à isoler la politique de l’islam attente à la structure de la pensée islamique", a continué Sahbi Atig, en précisant que "l’Etat n’est pas religieux dans notre conception, mais civil, fondé sur le principe du libre choix ; où le peuple est la source de la légitimité". Le mouvement Ennahdha œuvrera à élaborer "une Constitution respectant les droits fondamentaux du citoyen, la liberté de culte, de pensée, de l’habit, et criminalisant toutes les formes de torture", a-t-il ajouté, en substance.
D’autres groupes parlementaires vont encore plus loin et revendiquent une constitution fondamentalement basée sur l’islam. La Pétition populaire suggère que "l’islam soit la principale source de législation, étant donné que le Coran prône justice et Choura [concertation] et interdit l’exploitation des pauvres". Cette formation sans obédience politique déclarée, créée par Hachmi Hamdi, un Tunisien expatrié à Londres soupçonné de travailler aujourd’hui en sous-main pour l’ancien régime, a créé la surprise lors des élections du 23 octobre en obtenant la troisième place.
Liberté et dignité, un groupe parlementaire de douze députés, constitué de petits partis, prône une constitution alignée sur la charia. "Nous voulons que soit stipulé dans la constitution que l’arabe est notre langue, l’islam, notre religion, le Coran, la Sunna, et l’unanimité des fuqahâ [jurisconsultes], nos principales sources de législation", a indiqué Mohamed Nejib Hosni, représentant du groupe.
L’opposition incarnée par le Groupe démocratique – une large coalition composée notamment du Parti démocratique progressiste de Nejib Chebbi, et d’Afek Tounes – voit les choses autrement. "L’esprit de la constitution doit s’inspirer de notre histoire trois fois millénaire, notre référence originelle est notre identité arabo-musulmane, et en même temps, notre aspiration à l’ouverture, au progrès et à l’inspiration de toutes les civilisations", a soutenu Fadhel Moussa, représentant du groupe. Il a prêché "le respect des fondements de l’Etat civil, les droits et les libertés, notamment la liberté de culte, et celle de la société civile, afin qu’elle soit influente". Il a plaidé, par ailleurs, pour l’introduction "de droits sociaux et économiques dans la nouvelle constitution, à l’instar des droits au travail, au logement décent, à l’enseignement, à la santé…".
Au sein de la coalition au pouvoir, la question de la place de l’Islam divise également. Parmi les alliés d’Ennahdha, si le Congrès pour la République insiste sur le nécessaire respect de l’"identité arabo-musulmane", le groupe d’Ettakatol, celui du président de l’assemblée, Mustapaha Ben Jaafar, plaide lui pour "une constitution à même de jeter les bases d’un régime républicain démocratique et civil", et appelle "à séparer le religieux du politique". "Nous œuvrerons à instaurer un régime républicain civil qui n’a rien à voir avec ce qui est appelé les républiques islamiques, ni les républiques fondées sur les institutions militaires. L’Etat doit préserver l’identité du peuple, enracinée dans son arabité et son islamité, et en interaction avec les valeurs de modernité. Un Etat qui garantit la liberté de culte œuvre à empêcher l’instrumentalisation de la religion dans l’action politique", a fait valoir Mouldi Riahi, pour le groupe d’Ettakatol.
(02 mars 2012 - Par Hajer Jeridi)
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