Ennahda est sorti de son silence. Alors que depuis la mi-février, la rue se divise sur la question de la charia, le parti a annoncé le 26 mars qu’il "n’y aura pas de charia dans la Constitution". Quant à l’article premier du texte de 1959 qui précise "La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain : sa religion est l’islam, sa langue l’arabe et son régime la République", il reste en l’état. "Pour moi, cela aurait été suicidaire de faire autrement", avoue Samir Dilou, ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle, et membre du parti Ennahda.
Tous les membres du parti ne semblent pas de cet avis, à l’instar d’Habib Ellouz, député Ennahda, qui était apparu lors d’une manifestation pro-charia devant l’Assemblée constituante. Il s’est dit, selon Business News, "profondément triste" de la décision du parti, assurant avoir "demandé de réunir de nouveau le bureau afin de réviser cette décision". En effet, d’âpres débats ont eu lieu au sein de la Choura, la plus haute instance du parti. Et cette décision a été adoptée à plus des deux tiers des membres.
"Cette question de la charia a provoqué beaucoup de polémiques et de clivages, au point que le pays a failli être divisé. Cela nous déplaît beaucoup. Nous refusons toute forme de division", a regretté Rached Ghannouchi, le président du mouvement islamiste. "Nous pensons que le processus démocratique ne peut réussir sans un consensus avec l’élite. [...] Et si on veut qu’une Constitution soit durable, elle doit se baser sur un large consensus", a-t-il déclaré, lors d’une conférence de presse le 26 mars, tout en considérant que "tout le Code civil tunisien est déjà extrait de la charia, y compris le Code du statut personnel", qui interdit la polygamie notamment.
Progressistes contre salafistes. Manifs contre manifs. Slogans contre slogans. Depuis la mi-février, deux camps s’opposent. Et ce 25 mars, la situation a dégénéré : quelques centaines de salafistes, après avoir proféré des slogans antisémites, ont obligé des acteurs à aller se réfugier dans le théâtre national. "Les jeunes salafistes n’ont pas pris le temps de bien étudier et de comprendre les comportements de la société tunisienne. Ils croient que ce qui manque à la Tunisie, c’est la charia. C’est faux. Toute chose imposée n’a aucune valeur", a fustigé Rached Ghannouchi, alors que son parti était accusé d’une certaine complaisance à l’égard des salafistes. Il a enfoncé le clou sur les ondes d’Express FM le 28 mars en déclarant que "le projet salafiste, tel qu’il se manifeste actuellement en Tunisie, ne relève même pas du salafisme djihadiste. C’est un projet de guerre civile, à travers l’importation d’armes dans le pays, une dimension terroriste, qui en fait un projet étranger aux traditions pacifistes de la Tunisie".
Des propos qui font écho à ceux du ministre l’Intérieur : "Nous allons vers un affrontement", avait déclaré Ali Laârayedh au Monde. "Le plus important est que le mouvement Ennahda commence à prendre en considération qu’une partie des salafistes est dangereuse pour le pays, estime le politologue Salaheddine el Jourchi. Les leaders du mouvement ont analysé la situation et craignent que cette partie puisse influencer leur base."
"Maintenant que la question religieuse et identitaire est d’une certaine manière résolue, reste celle du régime politique, qui est toutefois moins grave", ajoute le politologue. Un "débat difficile" également relevé par Jaouhar Ben Mbarek, professeur en droit constitutionnel. Alors que le mouvement Ennahda propose un régime parlementaire monocaméral, d’autres partis préfèrent un régime bicaméral ou un régime mixte (parlementaire et présidentiel). Mais pour le professeur en droit constitutionnel, des discussions pourraient aussi naître autour des libertés individuelles.
Côté progressiste, la décision de la non-introduction de la Charia n’a pas créé de vaste élan de satisfaction. Meher Hanin, cadre du Parti démocrate progressiste, a salué, auprès de l’AFP, "une levée de l’ambiguïté, un engagement politique de premier niveau qui va nous permettre d’avancer dans la rédaction de la Constitution". Depuis le 17 février, les députés élus le 23 octobre planchent sur le nouveau texte en préparation.
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