jeudi 22 mars 2012

Égypte : la communauté copte aspire au changement

La mort de Chenouda III est aussi l’occasion pour les Coptes de s’interroger sur le repli sur eux-mêmes auquel ils ont été contraints.

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Chenouda a eu droit à des funérailles dignes de celles d’un chef d’État. Trois jours de deuil, une minute de silence au Parlement, plus ou moins respectée. Cela traduit la dimension politique du personnage, reconnue par tous, des laïcs aux Frères musulmans, de ses fidèles à la communauté internationale.
On célèbre l’homme - moins le système. Il y a bien eu un "système Chenouda" - pas très glorieux pour le souvenir de l’ancien patriarche. Ses mots-clés : confessionnalisation, fermeté, opacité. Étonnamment proche du système Moubarak.
Dans un mouvement déjà engagé par son prédécesseur, Cyrille VI, Chenouda a lié le destin de la communauté copte à celui de l’Église. L’identité se fonde maintenant sur le religieux : "On ne peut plus être copte sans être profondément chrétien, orthodoxe de surcroît", explique Christian Cannuyer dans un article (1). "Il y a cinquante ans, il n’était pas évident que le patriarche soit le chef de la communauté copte. Chenouda a développé le contrôle de l’Église sur les fidèles, mis en place une forte communautarisation. Les services sociaux, la santé, les loisirs, les vacances... Tout peut se faire dans le cadre de la paroisse. En conflit avec le président Sadate (2), il s’est imposé sous Moubarak comme le gestionnaire de cette communauté", pour Gaétan du Roy, chercheur au Cedej.

Critiques
Le patriarche dirigeait d’une main de fer. De la gestion des biens de l’Église aux tribunaux cléricaux, tout relevait de Chenouda. Mais administrer ne veut pas dire institutionnaliser. Cette main de fer agissait dans l’ombre : "Tout demeure sous la supervision d’un seul homme dont la volonté fait loi, ce qui attisa les rivalités internes, favorisa la corruption de la hiérarchie cléricale et alimenta l’inquiétude d’un petit clergé dont le statut est mal défini et le sort entre les mains du patriarche", explique Laure Guirguis, spécialiste des Coptes. Cette opacité a été l’objet de nombreuses critiques au sein même de la communauté.
Fermeté et manque de transparence : ce système était-il du fait de Chenouda ou s’est-il imposé à lui sous l’ère Moubarak, elle-même autoritaire et opaque ? Pour rendre justice au vieux patriarche, "sa position est très délicate sur le plan national. Il est coincé. Il ne peut pas ne pas prêter allégeance au gouvernement, car l’Église est aussi une institution de l’État", explique Laure Guirguis. La personnalité exceptionnelle de Chenouda a contribué à renforcer la communauté copte. Celle-ci est "devenue le principal, voire l’unique, producteur de sens et de valeurs dans un environnement national perçu, souvent à juste titre, comme hostile", ajoute Laure Guirguis. Mais, en émancipant les Coptes de cet environnement national, en leur conférant une identité plus confessionnelle que communautaire, Chenouda a aussi contribué à les marginaliser sur la scène égyptienne.

Divisions
Le contexte était difficile. L’entrée en fonction du patriarche a coïncidé avec la multiplication des attaques contre les chrétiens. Il s’agit parfois de conflits tribaux ou intervillageois qu’on retrouve aussi entre musulmans - des querelles de clocher s’ajoutant à une culture de la vendetta très présente dans le Saïd. Chrétiens comme musulmans sont tous victimes d’un régime fort et prédateur. Mais certains discours islamistes soufflent sur les braises, "en appellent à la haine contre les chrétiens et font mouche chez les innombrables laissés-pour-compte d’une société égyptienne confisquée depuis des décennies par un quarteron de nantis", analyse Christian Cannuyer.
Malgré cet environnement complexe, le système Chenouda est contesté dans son propre camp. Pendant la révolution, les Égyptiens clamaient "le peuple veut la chute du régime". Certains Coptes, aujourd’hui, veulent la chute de l’ancien système. "L’autorité du pape et sa longue maladie ont caché les divisions. Le patriarche gérait ces tensions de manière très habile. Il laissait d’autres évêques attaquer pour lui tout en privilégiant l’unité", pour Gaétan du Roy. Chenouda incarnait cette unité - mais sa mort risque de faire resurgir les divisions d’une communauté fragile. Certains évoquent même le mot "schisme", selon Gaétan du Roy.

Radicalisme
Les intellectuels et les libéraux dénoncent le leadership religieux sur la communauté, dont la production intellectuelle s’est appauvrie sous Chenouda - notamment par rapport aux autres Églises d’Orient. Les évangélistes critiquent une centralisation trop ferme : un prêtre, Max Michel, a été jusqu’à s’autoproclamer "patriarche de l’Église copte orthodoxe de Saint-Ithnâthiûs sur le Muqattam". Le putsch a échoué pour l’autodésigné "Maximos Ier". Mais certains chrétiens accusaient Chenouda régulièrement de fitna ta’iffiyya - la dissension confessionnelle - par sa politique d’autonomisation de la communauté copte, par son radicalisme. Chez les Coptes, seul le divorce pour adultère est autorisé.
À la fois renforcées sur le plan communautaire et affaiblies sur le plan national, les lignes de fracture, jusqu’ici maintenues à grand-peine, risquent de s’ouvrir brusquement.

Succession
Aucun successeur n’apparaît à la hauteur des défis que pose la nouvelle Égypte - peut-être parce que personne ne sait pour l’instant à quoi elle ressemblera. L’ancien candidat de l’ère Moubarak, l’évêque Yoannes, semble être mis à l’écart. Parmi de nombreux autres, deux personnalités se dégagent : l’intransigeant Bishoy et le magnanime Musa. Le premier est un austère. Il se bat contre les tendances évangélistes qui fragilisent l’Église copte et se méfie des libéraux - il a fait destituer un évêque de Haute-Égypte, trop tolérant à son goût, avant d’être contredit par Chenouda lui-même. Musa, l’évêque de la jeunesse malgré ses 74 ans, est réputé plus consensuel et trouve du succès auprès des libéraux.
Il y a une curieuse ressemblance entre la question égyptienne et la question copte : comme l’élection présidentielle à venir, la désignation du prochain patriarche obéit à des règles incertaines qui peuvent être redéfinies. "Ça peut durer deux ans, explique Laure Guirguis. Il ne faudrait pas que la transition traîne parce que ça risque de fragiliser encore plus la communauté copte." D’autant que le travail sera énorme. "Il faut tout réorganiser. À l’image du régime égyptien, l’Église fonctionnait de manière très informelle. Il faudra plus de transparence", ajoute Laure Guirguis.

Alliance ?
Le combat principal ne sera peut-être pas entre les chrétiens et les musulmans. Au contraire, la présence de responsables des Frères musulmans à la messe de Noël est le signe d’une éventuelle alliance entre religieux, plutôt conservateurs, contre les laïcs, plutôt libéraux. Ou pas : les lignes de fracture évoluent sans cesse en Égypte. Sur le plan religieux, la tendance de fond reste un rapport plus personnel à Dieu et à la religion - ce qui explique un succès relatif des protestants égyptiens. Être plus indépendant par rapport au clergé, plus libre dans sa pratique - tout en restant fortement ancré dans sa communauté. Le nouveau patriarche devra être aussi souple que l’ancien était ferme.

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