mercredi 7 août 2013

Tunisie : l’opposition resserre les rangs (Julie Schneider)

C’est une opposition hétéroclite qui fait pression à Tunis. "Des partis qui se chamaillaient il y a encore quelques semaines se sont rassemblés pour trouver une solution pour le pays", annonce Khemaïs Ksila, député de Nidaa Tounes - parti de centre-droit considéré comme le principal rival d’Ennahda -, et l’un de la soixantaine d’élus qui boycottent les travaux de l’Assemblée nationale constituante (ANC). Depuis l’assassinat de Mohamed Brahmi le 25 juillet, ils demandent la démission du gouvernement, la formation d’un gouvernement de compétences et la dissolution de l’ANC, dont les travaux sont suspendus "jusqu’au début du dialogue, et cela au service de la Tunisie".
Car, pour eux, le constat est sans appel : dégradation de la situation économique, sociale et sécuritaire, et une constitution qui se fait toujours attendre... Ils dénoncent aussi les ligues de protection de la révolution qu’ils considèrent comme des "milices" et la "mainmise d’Ennahda sur l’administration". Une situation jugée "complexe", et même "gravissime", par Mohamed Jemmour, le vice-secrétaire général du Front Populaire, coalition formée de 11 partis de gauche qui s’est rapprochée récemment de Nidaa Tounes. "La conjoncture dans le pays nous oblige à changer de position à l’égard de ce parti", explique Mohamed Jemmour. Mais les débats avec les jeunesses du "Front Pop’" - qui voient en cette formation politique un recyclage des anciens du RCD, le parti dissous de Ben Ali - sont "tendus", "passionnés", "certains nous disent qu’on les a trahis. On leur explique qu’on ne peut pas avoir des ennemis éternels et des alliés éternels".
Depuis dix jours, chaque soir, les représentants de ces partis d’opposition, longtemps considérés comme "mous", se retrouvent place du Bardo, face à l’ANC, rompent le jeûne et chauffent la foule dans des discours parfois virulents. Parmi les manifestants, certains les félicitent et les poussent à continuer ; d’autres tiennent des propos plus durs. "Lamentable", "nul", "ridicule"... "Ils veulent tous être président. Leur seule cause est le pouvoir", fustige Meriem, 18 ans. "Ils n’ont aucune proposition. Et une fois qu’ils auront le pouvoir, que vont-ils faire ?" se demande une jeune femme. "Actuellement, le seul projet de l’opposition est de supplanter Ennahda", observe le politologue Larbi Chouikha.
Des accusations balayées par tous les concernés : "La campagne électorale n’a pas commencé, on révélera notre programme en temps voulu. Mais dans ce moment crucial, nous devons rassurer les Tunisiens", explique Bochra Bel Haj Hamida, directrice exécutive de Nidaa Tounes, qui répète que son parti "n’est pas contre Ennahda", mais constate que "le gouvernement a échoué".
De son côté, Rached Ghannouchi, le leader du mouvement islamique, estimait dans La Presse ce mardi que "les événements actuels font partie de la contre-révolution", et appelait à "un dialogue national, sans condition préalable". Se disant prêt à retirer l’article 141 de la future Constitution, qui définit "l’islam en tant que religion d’État", ou encore à remanier le gouvernement, il refuse cependant de céder le poste de Premier ministre, une demande phare de l’opposition. "Il y a un grand déficit de confiance et beaucoup de surenchères des deux côtés. Mais ils sont condamnés à dialoguer et il faut agir vite, la crise est plus grave qu’en février et le changement doit être plus profond", constate Mokhtar Yahyaoui, juge dissident sous Ben Ali qui tente d’instaurer le dialogue entre les deux camps.
Et si dans les coulisses quelques négociations ont bien cours, c’est dans la rue que chacun jauge son poids et essaie d’imposer ses vues. Depuis bientôt deux semaines, des manifestations se déroulent un peu partout dans le pays : "une stratégie d’asphyxie de l’économie pour affaiblir Ennahda", confie le représentant d’un bureau de Nidaa Tounes dans la banlieue sud de Tunis.
Mardi 6 août au Bardo, à l’occasion de la commémoration des six mois de l’assassinat de Chokri Belaïd, plus de 40 000 personnes selon la police, plus de 100 000 selon les organisateurs, protestaient devant l’ANC, avec la bénédiction de l’UGTT, la puissante centrale syndicale. Quatre jours plus tôt, Ennahda affirme avoir réuni, selon ses propres chiffres, près de 200 000 manifestants place de la Kasbah pour soutenir la "légitimité des urnes", avec en tête le renversement du régime élu des Frères musulmans en Égypte. "Le pays est clivé en deux et la bipolarisation, observée dès le lendemain du 23 octobre (2011, date des élections, NDLR), s’accentue. Ennahda est responsable de cette situation, mais les partis de l’opposition ne sont pas en reste", commente le politologue Larbi Chouikha, qui "redoute que le pays ne s’enfonce dans la violence".

(07-08-2013 - Julie Schneider )

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