mercredi 28 août 2013

Maroc : passe délicate pour le gouvernement islamiste

Lâché par son principal allié, critiqué par le roi et confronté à une conjoncture régionale défavorable, le parti islamiste à la tête du gouvernement marocain traverse une période délicate, moins de deux ans après son succès électoral du Printemps arabe.
Porté par le souffle du changement en Tunisie et en Egypte, le Parti justice et développement (PJD), jusque-là cantonné dans l’opposition, avait remporté les législatives de fin 2011.
Faute de majorité, son chef, Abdelilah Benkirane, avait dû former une coalition hétéroclite, mais ce succès, précédé de l’adoption d’une constitution devant accroître les pouvoirs du gouvernement, avait suscité de nombreux espoirs.
Vingt mois plus tard, l’atmosphère a sensiblement changé. "De nombreux indices laissent penser que la chute du gouvernement islamiste n’est plus qu’une question de temps", a même avancé le quotidien Akhbar al-Yaoum.
Pour l’heure, les clignotants restent à l’orange pour le PJD, dont les ennuis ont réellement commencé en mai lorsque l’Istiqlal, parti de l’indépendance et deuxième force de la coalition, a annoncé son retrait.
Depuis juillet, lorsque le retrait a été effectif, Abdelilah Benkirane s’efforce de lui trouver un remplaçant. Mais les tractations sont laborieuses.
Elles sont menées avec le Rassemblement national des indépendants (RNI), un parti qui entretient des rapports conflictuels avec le PJD.
"La politique est l’art du possible, et le conflit avec ce parti ne pouvait durer éternellement", a fait valoir dimanche M. Benkirane devant les jeunes du parti, à qui il a demandé de "soutenir" ses décisions.
D’après la presse, ces pourparlers pourraient aboutir sous 15 jours. Interrogée par l’AFP, une source proche du dossier a pour sa part évoqué "la mi-septembre".
En attendant, si le porte-parole Mustapha Khalfi assure que la crise politique ne nuit pas à son action, le gouvernement essuie une rafale de critiques.
Celles-ci portent notamment sur l’absence de mise en oeuvre de réformes sociales urgentes et sur la situation financière du royaume, où la dette a dépassé l’an dernier les 7% du PIB.
Depuis fin 2011, "nous avons eu l’approximation et l’amateurisme aux commandes", a récemment asséné le quotidien L’Economiste.
Au-delà des médias et de l’opposition, le PJD a surtout essuyé, le 20 août, un camouflet de la part du roi.
Dans son premier discours depuis la retentissante affaire de la grâce royale accordée par erreur à un pédophile espagnol, Mohammed VI a explicitement visé le gouvernement, dénonçant sa politique éducative.
Ces critiques ont fait grincer des dents au sein du parti, mais Abdelilah Benkirane, soucieux d’éviter tout conflit public avec le souverain, a encaissé en silence.
"Le roi est au-dessus de nous. Notre combat est plutôt avec les forces tyranniques qui veulent mettre la main sur les richesses du pays", a-t-il ensuite déclaré, s’en prenant à son ex-allié de l’Istiqlal mais aussi au Parti authenticité et modernité, fondée en 2008 par un proche du roi.
Le contexte régional place également le PJD sur la défensive.
Mi-août, les ministres islamistes ont évité de participer à une imposante manifestation en faveur des Frères musulmans égyptiens à Rabat. Mais parmi les 10.000 participants figuraient de nombreux PJdistes.
Ce week-end, les jeunes du parti ont affiché un soutien similaire aux islamistes égyptiens.
"Il serait plus raisonnable de canaliser cette énergie pour le service du pays", leur a rétorqué Abdelilah Benkirane.
Pour le politologue Mohamed Tozy, la conjoncture régionale joue effectivement "en défaveur du PJD dans la mesure où il l’oblige à relativiser l’argument du triomphe électoral" comme source permanente de légitimité.
"Ce que les islamistes découvrent partout, c’est que le peuple est versatile : même si on lui vend un programme sur une base religieuse, il est rattrapé par le quotidien et peut changer de camp", dit-il à l’AFP.
Dans le cas du Maroc, malgré les écueils, M. Benkirane peut encore s’appuyer sur une relative popularité, et entend se montrer impassible.
"Si j’échoue à former une nouvelle majorité, je reviendrai vers sa Majesté qui garde toute latitude pour prendre la décision adéquate", a-t-il relevé, en référence à la perspective d’élections anticipées.

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