mardi 27 août 2013

Syrie : questions sur une intervention (Armin Arefi)

Il en est désormais persuadé. "Des armes chimiques ont été utilisées en Syrie. C’est indéniable", a annoncé lundi le secrétaire d’État américain John Kerry. "Ceux qui ont recours aux armes les plus atroces contre les populations les plus vulnérables de la planète doivent rendre des comptes", a-t-il averti, sans pour autant accuser le régime syrien. Mais il ne fait aucun doute que c’est bien Bachar el-Assad qui est visé. Ce mardi, les chancelleries occidentales s’activaient pour préparer une riposte militaire devenue inévitable.

Pourquoi les Américains ont-ils changé d’avis ?
L’accélération des événements tranche avec l’attentisme de mise de la semaine dernière à Washington, qui avait pourtant fixé, à l’été 2012, une ligne rouge à Bachar el-Assad à ne pas franchir sous peine de riposte militaire. "La véritable ligne rouge pour Barack Obama est de ne pas envoyer un seul soldat américain combattre au Moyen-Orient pour provoquer une nouvelle guerre, après les précédents de l’Irak et de l’Afghanistan", affirme David Rigoulet-Roze (1), chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas).
Les sondages donnent raison au président américain. D’après une étude récente réalisée par Reuters/Ipsos, quelque 60 % des Américains se disent hostiles à une intervention militaire américaine en Syrie, et seuls 9 % des sondés estiment que Barack Obama se doit d’agir. Mais dos au mur face au concert d’indignations internationales après le massacre de la Ghoutta orientale mercredi dernier, qui aurait fait plus de 1 000 morts, le pensionnaire de la Maison-Blanche n’a eu d’autre choix que de réagir.
"Pris dans ses contradictions sur les armes chimiques, Obama ne pouvait se permettre de ne rien faire", souligne David Rigoulet Roze. "Il en allait de la crédibilité stratégique des États-Unis en termes de dissuasion". Soucieux de ne pas donner l’impression d’un blanc-seing aux détenteurs d’armes de destruction massive, avec en tête l’Iran, Barack Obama a donc demandé au ministère de la Défense de préparer "des options pour tous les cas de figure". Une requête qui s’est traduite par l’envoi en Méditerranée d’un quatrième destroyer équipé de missiles de croisière Tomahawk.

Quelle forme l’opération prendrait-elle ?
Selon la presse américaine, le président Obama réfléchirait à une frappe limitée, qui ne durerait probablement pas plus de deux jours, estime le Washington Post. De son côté, le New York Times évoque des tirs de missiles de croisière depuis des bâtiments américains en Méditerranée, sans pour autant chercher à renverser Bachar el-Assad. "Il devrait s’agir d’une opération de coercition visant à montrer au président syrien le prix à payer pour avoir franchi la ligne rouge", analyse François Heisbourg, président de l’Institut international des études stratégiques (IISS). "L’envoi de centaines de missiles de croisière pourrait considérablement l’affaiblir et le convaincre de ne pas réutiliser ses armes chimiques." Pour le chercheur David Rigoulet-Roze, "les bombardements ne devraient pas viser les sites chimiques, bien trop risqués, mais cibler davantage les sites stratégiques du régime".

Quand l’opération commencera-t-elle ?
François Hollande l’a confié lundi, "tout va se jouer cette semaine". D’après le chercheur François Heisbourg, si une décision est prise dans les jours qui viennent, une intervention devrait avoir lieu "la semaine prochaine", car "il faut apporter aux opinions publiques les éléments de preuve d’une utilisation d’armes chimiques à Damas". Toute opération devrait toutefois être déclenchée avant les sommets du G8 et du G20, qui ont lieu à Saint-Pétersbourg, les 5 et 6 septembre prochains.

Quel cadre légal pour l’opération ?
Sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU, bloqué par les veto russes et chinois, l’intervention pourrait être assurée par une coalition internationale de volontaires, sur le modèle de l’alliance militaire conduite par l’Otan en 1999 au Kosovo, ou de l’intervention contre l’Irak menée en 2003. Le nombre d’États impliqués dans les combats se limiterait aux pays disposant des capacités pour lancer des frappes ciblées depuis la mer, à savoir les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis. La Turquie a également annoncé qu’elle se joindrait à la coalition.
"Politiquement, il vaut mieux que l’opération apparaisse comme internationale", explique François Heisbourg. Toutefois, il ne fait guère de doute que les États-Unis devraient assurer l’essentiel de la mission. "À côté des Américains, les autres pays font office de petits joueurs", estime David Rigoulet-Roze. "Quant aux pays musulmans, leur rôle est davantage d’habiller une opération afin qu’elle ne soit pas vue comme strictement occidentale."

Bachar el-Assad peut-il être renversé ?
Cet objectif impliquerait une guerre terrestre beaucoup plus longue aux conséquences incertaines, ce qu’exclut François Heisbourg. "Politiquement, l’envoi de soldats sur un terrain étranger serait très difficile à légitimer auprès d’une opinion publique, surtout sans aval de l’ONU." En outre, une telle opération s’avèrerait extrêmement risquée sur le plan militaire. Contrairement à la Libye, l’armée de Bachar el-Assad est l’une des plus puissantes de la région, équipée et conseillée par ses alliés russes et iraniens. Le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Mouallem, a d’ailleurs prévenu mardi que son pays se défendrait contre toute attaque avec "des moyens de défense qui surprendraient" le monde.
Autre limite d’un changement de régime : le manque d’option de rechange en cas de chute du "boucher de Damas". Les divisions au sein de l’opposition à l’étranger, et l’émergence de groupes djihadistes au sein de la rébellion, ne sont pas pour rassurer l’Occident. La perspective serait donc davantage de profiter de cette intervention pour affaiblir le régime et changer le rapport de force en faveur d’une opposition sur le déclin. "Un affaiblissement du régime pourrait l’amener à accepter davantage de compromis dans le cadre d’un règlement politique du conflit", estime le chercheur David Rigoulet-Roze.

Le conflit peut-il déborder ?
La crise syrienne impliquant de nombreux acteurs dans la région engagés dans des alliances tant stratégiques que confessionnelles, une intervention militaire, même limitée, a toutes les chances de servir d’étincelle à un conflit de plus grande ampleur. Principal allié de Damas, l’Iran a déjà menacé Washington de "dures conséquences" s’il franchissait la "ligne rouge" en Syrie. De son côté, le ministre syrien de l’Information, Omran Zoabi, a averti que l’intervention militaire américaine "créerait une boule de feu qui embraserait le Moyen-Orient". "En utilisant l’arme chimique, Bachar el-Assad a prouvé qu’il était prêt à aller très loin", affirme David Rigoulet-Roze. "On sait comment commence ce genre de conflit limité, mais on ignore toujours comment il s’achève."

(27-08-2013 - Armin Arefi)

(1) David Rigoulet-Roze, auteur de Géopolitique de l’Arabie saoudite (éditions Armand Colin) et de L’Iran pluriel (éditions L’Harmattan).

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