Au moins 12 personnes ont péri vendredi dans les affrontements entre
partisans du président islamiste déchu Mohamed Morsi et forces de
l’ordre à travers l’Égypte, selon un bilan fourni par le ministère de la
Santé dans l’après-midi. De son côté, l’Alliance contre le coup d’État,
une coalition pro-Morsi, a affirmé qu’au moins 25 personnes avaient été
tuées sur la seule place Ramsès, dans le centre du Caire, principal
point de rassemblement des manifestants islamistes.
Un précédent bilan faisait état de cinq manifestants islamistes et d’un
policier ont été tués en Égypte dans les heurts. À Ismaïlia, sur le
canal de Suez, au moins cinq manifestants ont été tués par les forces de
l’ordre, auxquelles le gouvernement a donné jeudi le droit d’ouvrir le
feu sur tout manifestant qui se montrerait violent, un geste sans
précédent de mémoire d’Égyptien.
Au Caire, un policier a été tué dans une embuscade alors que l’armée
avait littéralement scellé la plupart des artères quasi désertes du
Caire en prévision de ce "vendredi de la colère" auquel les partisans du
président islamiste Mohamed Morsi avaient appelé pour dénoncer le
"massacre" de plus de 300 des leurs mercredi. À Tanta (nord), la police a
tiré des chevrotines et des grenades lacrymogènes sur des manifestants
islamistes, selon des responsables de la sécurité.
Des tirs ont également été entendus dans d’autres grandes villes du pays
où les pro-Morsi manifestaient, comme Alexandrie (nord), Beni Soueif et
Fayoum, au sud du Caire, et la ville touristique de Hurghada sur la mer
Rouge. Des télévisions égyptiennes montraient des hommes tirer au fusil
d’assaut kalachnikov depuis un pont du Caire, mais il était impossible
de savoir s’il s’agissait de manifestants ou de policiers en civil qui
quadrillent la ville au côté des soldats.
À l’issue de la prière de la mi-journée, des cortèges sont partis de
nombreuses mosquées du pays, notamment au Caire où une foule se pressait
sur la place Ramsès, dans le centre de la capitale quadrillée, en plus
des militaires et des policiers antiémeute, par d’innombrables policiers
en civil particulièrement hostiles ou nerveux. Mercredi, près de 600
personnes ont péri dans tout le pays, essentiellement dans la dispersion
sanglante au Caire de partisans de Mohamed Morsi, destitué et arrêté
par l’armée début juillet.
Les Frères musulmans, la confrérie de Mohamed Morsi, ont appelé leurs
partisans à défiler "pacifiquement" par "millions" à la sortie des
mosquées vendredi et à converger vers la place Ramsès au centre de la
capitale. Deux jours après la journée la plus sanglante - 578 morts et
plus de 3 000 blessés - depuis la chute d’Hosni Moubarak en février
2011, les violences relancent les craintes dans le pays sous état
d’urgence et où un couvre-feu nocturne a été imposé dans la moitié des
provinces. Cette journée sera un test pour le plus peuplé des pays
arabes, où la division ne cesse de s’accroître entre partisans des
Frères musulmans et tenants de la solution sécuritaire que les nouvelles
autorités semblent désormais privilégier.
D’une part, la confrérie de Mohamed Morsi, dont l’appel à manifester
jeudi n’avait pas reçu d’écho au Caire, tente une nouvelle démonstration
de force face aux autorités installées par l’armée début juillet.
D’autre part, le gouvernement, qui jusqu’ici saluait la "très grande
retenue" de la police dans la dispersion des manifestants pro-Morsi sur
les places Rabaa al-Adawiya et Nahda du Caire - quelque 320 morts selon
un bilan officiel -, a durci le ton jeudi, autorisant les forces de
l’ordre à ouvrir le feu sur les manifestants violents.
Lors du carnage sur les places où campaient depuis un mois et demi des
milliers d’islamistes venus avec femmes et enfants, l’Intérieur avait
assuré que "les instructions étaient de n’utiliser que les gaz
lacrymogènes, pas d’armes à feu". "Mais quand les forces de sécurité
sont arrivées, elles ont été surprises par des tirs nourris", avait-il
ajouté.
Après de nouvelles attaques, dont l’incendie du siège de la province de
Guizeh dans la banlieue du Caire et la mort de neuf policiers et
militaires, attribués à des "islamistes", notamment dans la péninsule
instable du Nord-Sinaï, des "comités populaires" pro-pouvoir
installaient des points de contrôle à travers le pays, fouillant les
habitants et régulant les accès aux quartiers.
Vendredi, la presse, quasiment unanimement acquise à l’armée, se
déchaînait contre la confrérie. "Les milices des Frères détruisent les
biens du peuple", titrait notamment le journal privé al-Masry al-Youm
au-dessus d’une photo du siège de la province de Guizeh ravagé par les
flammes. À l’aube de ce "vendredi de la colère", Laila Moussa, une
porte-parole de la Coalition pro-Morsi contre le "coup d’État", a
affirmé que des membres des Frères musulmans, dont au moins deux
parlementaires, avaient été arrêtés.
Depuis le coup de force des militaires, la majorité des dirigeants de la
confrérie ont été arrêtés ou sont en fuite. M. Morsi est lui-même
toujours détenu au secret. Son guide suprême, Mohamed Badie, en fuite, a
promis vendredi dans sa lettre hebdomadaire à ses partisans que les
responsables des "massacres" allaient devoir payer. Les Frères musulmans
ont évoqué 2 200 morts et plus de 10 000 blessés.
Alors que de nombreux pays occidentaux ont condamné ce bain de sang, les
15 pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont appelé jeudi soir
les différentes parties en Égypte à faire preuve d’un "maximum de
retenue". Les États-Unis ont de leur côté annulé des exercices
militaires communs et incité leurs ressortissants à quitter l’Égypte,
sans aller jusqu’à interrompre l’aide annuelle (1,5 milliard de dollars)
versée en grande partie à la toute-puissante armée de leur grand allié.
Le président Barack Obama a "condamné avec force les mesures prises par
le gouvernement intérimaire", comme la réinstauration de l’état
d’urgence. Navi Pillay, la haut commissaire de l’ONU en charge des
droits de l’homme, a réclamé une enquête sur la dispersion des
pro-Morsi. Le président français, François Hollande, a appelé à tout
mettre "en oeuvre pour éviter la guerre civile". Paris et Berlin ont
convoqué les ambassadeurs égyptiens et devaient s’entretenir à la
mi-journée, tandis que la Turquie a rappelé pour consultations son
ambassadeur en Égypte. Le Caire a aussitôt rappelé son représentant à
Ankara.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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