Des scènes de guerre en plein Damas. Trois jours après
l’attentat-suicide qui a décimé le coeur du pouvoir syrien, les
événements s’accélèrent en Syrie, prenant une tournure dramatique.
Vendredi matin, l’armée syrienne a annoncé avoir lancé une offensive
généralisée pour reprendre les quartiers rebelles de la capitale, au
lendemain d’une journée sanglante qui a fait au moins 300 morts, soit le
plus lourd bilan depuis 16 mois. Pendant ce temps, le Haut Commissariat
des Nations unies pour les réfugiés révèle que jusqu’à 30 000 Syriens
ont fui les violences pour le Liban au cours de 48 dernières heures.
Le régime syrien vit-il ses dernières heures ? Maître de conférences à
l’université Lyon II et directeur du Groupe de recherches et d’études
sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo), le chercheur Fabrice
Balanche analyse la riposte de Bachar el-Assad.
Damas a annoncé vendredi matin la mort du chef de la sécurité
nationale, qui avait été blessé dans l’attentat de mercredi. Était-il
une personnalité importante ?
Hicham Ikhtiar était un personnage de premier plan dans l’organisation
de la répression. Il s’agissait d’un homme âgé, un des vétérans du
régime, qui avait su constituer un important réseau personnel de
clientélisme. Il possédait ainsi des informateurs fiables qui lui
permettaient de procéder à de nombreuses arrestations. Surtout, il était
sunnite. Il s’agissait d’une tête de réseau.
Était-ce le cas également d’Assef Chawkat, beau-frère de
Bachar el-Assad et vice-ministre de la Défense, lui aussi tué mercredi ?
Assef Chawkat était encore plus important que Hicham Ikhtiar, car
c’était lui le véritable organisateur de l’armée syrienne, avec Maher
el-Assad, frère cadet de Bachar el-Assad. Assef Chawkat était le vrai
ministre de la Défense.
Il avait été mis sur la touche par le régime
en 2008, après l’assassinat d’Imad Moughnieh, un des chefs du Hezbollah
à Damas. Il faut dire qu’il était connu pour avoir les dents longues.
Le clan Assad craignait d’ailleurs qu’il ne fomente un coup d’État
contre ses beaux-frères. Mais il a été rappelé ces derniers mois, en
raison de l’efficacité dont il a toujours fait preuve dans son
"travail".
Les événements semblent dramatiquement s’accélérer en Syrie.
Hier, le vice-ministre irakien de l’Intérieur a annoncé, à la surprise
générale, que les rebelles contrôlaient l’ensemble de la frontière avec
l’Irak.
Ce n’est, au contraire, pas surprenant étant donné qu’il n’existe que
deux postes-frontières entre la Syrie et l’Irak. Le premier se trouve à
Abou Kamal, sur la vallée de l’Euphrate, dans une zone déjà tenue par
les rebelles. Il est donc normal qu’ils s’en soient emparés rapidement,
d’autant plus que seule une vingtaine de soldats le défendait. Le second
poste-frontière se trouve entre Damas et Bagdad, dans une zone
désertique assez facile à conquérir.
Pour quelle raison ?
Tout simplement parce que l’armée régulière a déserté cette région, pour
se concentrer sur Damas, où elle a été appelée en renfort par le
régime. Il en va de même pour les troupes syriennes positionnées sur le
plateau du Golan, elles aussi envoyées dans la capitale. En effet, le
régime syrien n’a rien à craindre en ce moment du côté israélien.
On observe aujourd’hui des scènes de guerre à Damas.
S’agit-il, comme l’affirme l’Armée syrienne libre, de la "bataille pour
la libération" ?
On constate effectivement une accélération des événements, mais ce qui
est sûr, c’est que ce n’est pas la fin du régime. L’attentat de mercredi
n’a pas décapité le pouvoir, comme on le dit. Il lui porté un coup,
bien sûr, mais le régime est loin d’être paralysé. Il a d’ailleurs mis
en place une stratégie de contre-insurrection, qu’il est actuellement en
train d’appliquer. Malgré certains déboires ainsi qu’un manque de
technicité, Damas n’a pas changé sa position pour autant.
Quelle est cette technique ?
Elle consiste à reprendre le contrôle du territoire à partir des pôles
urbains. C’est la "technique de la tache d’huile". L’armée attend qu’un
nombre significatif de rebelles s’installent dans un quartier, puis que
leur présence devienne pesante - tant au niveau sécuritaire qu’au niveau
économique - pour la population, avant de lancer le bombardement. Le
pilonnage provoque la fuite des habitants, et ceux qui restent sont
démasqués et éliminés.
L’opération est alors reproduite à
l’identique dans un autre quartier, puis un autre encore. Cette
technique, notamment utilisée par les États-Unis au Vietnam, ou par la
France en Algérie, trouve pourtant ses limites en Syrie. Le régime ne
contrôlant plus ses frontières, il ne peut espérer enfermer la rébellion
dans le territoire syrien.
Selon vous, la capitale ne serait donc pas sur le point de tomber ?
Non, les rebelles ne sont pas assez bien organisés, ni armés. Regardez, l’armée a décidé ce matin d’aller les déloger à Midane.
Le mois du ramadan, qui commence ce vendredi, peut-il changer la donne ?
Ce mois sacré est propice à une augmentation des combats, car il
galvanise les rebelles. De l’autre côté, l’armée syrienne a déjà prouvé
l’année dernière qu’elle réprimerait malgré tout. Étant donné l’escalade
de la violence, il est peu probable que les manifestants descendent
dans la rue.
Une riposte sanglante du régime est-elle à craindre après l’attentat de mercredi ?
En 1980, au lendemain de l’attentat manqué contre Hafez el-Assad, père
de Bachar, près de 1 000 prisonniers avaient été tués en réponse à
Palmyre.
Aujourd’hui, on risque fort d’assister à une vengeance du
régime sur les civils, notamment de la part des fidèles d’Assef Chawkat.
(21 juillet 2012 - Armin Arefi)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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