samedi 28 juillet 2012

Syrie : L’armée de Bashar à la reconquête d’Alep

Des hélicoptères de l’armée syrienne ont bombardé samedi des positions tenues par les insurgés dans le centre d’Alep et des unités blindées ont pris position en vue de reprendre le contrôle total de la grande ville du nord de la Syrie, un assaut que la presse favorable au président Bashar al Assad présente comme la "reine de toutes les batailles".
La Turquie, inquiète du développement du conflit à ses frontières, a appelé à de nouvelles initiatives internationales pour mettre fin aux affrontements mais Moscou a estimé que le soutien aux insurgés ne pouvait qu’entraîner de nouvelles effusions de sang.
L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), une ONG favorable à l’opposition syrienne et basée à Londres, a rapporté que des hélicoptères gouvernementaux avaient attaqué dans la matinée le quartier de Salaheddine à Alep, capitale économique et ville la plus peuplée de Syrie avec deux millions et demi d’habitants.
De violents combats ont également eu lieu à l’entrée du quartier de Sakhur, ajoute l’OSDH.
Un militant de l’opposition a précisé avoir vu des chars et des véhicules blindés de transport de troupes faire mouvement vers le quartier de Salaheddine.
La communauté internationale s’inquiète de voir la bataille d’Alep entraîner des massacres de civils et le conflit s’étendre à d’autres pays de la région.
Pour de nombreux experts militaires, les forces d’Assad, en raison de leur supériorité matérielle, sont en mesure de contrôler les zones urbaines, notamment Alep et Damas, mais pourraient se retrouver sur la défensive dans les régions rurales.
Illustration de ce phénomène, une colonne blindée gouvernementale qui opérait jusqu’ici dans le province d’Idlib, dans le nord de la Syrie, a été envoyée à Alep en vue de la grande contre-attaque.
"A Alep, il est probable que les forces d’Assad sont en mesure de s’assurer un succès tactique qui permettra au régime de démontrer sa supériorité militaire", dit l’analyste Ayham Kamel, de l’Eurasia Group, qui souligne toutefois que les insurgés ne cessent de se renforcer alors que l’armée gouvernementale connaît de plus en plus de défections.
Dans la nuit de vendredi à samedi, entre minuit et le lever du jour, trois combattants rebelles ont été tués dans les combats à Alep, selon l’OSDH. Vendredi, les violences ont fait au total 160 morts à travers le pays, ajoute l’ONG. Le bilan du soulèvement depuis mars 2011 serait d’environ 18.000 morts.
Des affrontements ont également été signalés samedi à Deraa, le berceau de la révolte dans le sud du pays, à Homs, dans le centre, et à Hama, ville où un soulèvement islamiste au début des années 1980 avait été écrasé dans le sang par le président Hafez al Assad, le père de Bashar.
Près de Damas, à Maadameiat al Cham, les forces de sécurité ont tué une dizaine de personnes, rapporte l’OSDH.
Vendredi soir, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, autrefois proche d’Assad, a estimé que la communauté internationale devait agir face à l’aggravation de la situation à Alep et à la menace brandie par Damas de faire usage de son arsenal chimique en cas d’agression étrangère.
"Il y a des renforts (de l’armée syrienne) à Alep, et les récentes déclarations sur l’utilisation d’armes de destruction massive sont des éléments devant lesquels nous ne pouvons pas rester simples observateurs ou spectateurs", a-t-il dit à Londres lors d’une conférence de presse commune avec le Premier ministre britannique, David Cameron.
"Des mesures conjointes doivent être prises par le Conseil de sécurité de l’Onu, l’Organisation des pays islamiques, la Ligue arabe, et nous devons travailler ensemble pour tenter de surmonter cette situation."
A la télévision turque, Erdogan a clairement apporté son soutien aux insurgés syriens. "A Alep, le régime (d’Assad) se prépare à lancer une attaque avec ses chars et ses hélicoptères (...) J’espère que les vrais fils de la Syrie sauront lui donner la réponse qu’il mérite", a-t-il dit.
Le chef du gouvernement britannique a de son côté fait part des préoccupations de Londres et d’Ankara face à un possible massacre que s’apprêteraient à commettre à Alep les forces fidèles au président Assad.
"Ce serait totalement inacceptable. Ce régime doit prendre conscience qu’il est illégitime, qu’il est injuste et qu’il doit arrêter ce qu’il est en train de faire", a déclaré David Cameron.
Pour les Russes, qui se sont par trois fois opposés au Conseil de sécurité de l’Onu à des résolutions sanctionnant le gouvernement de Damas, le soutien de la communauté internationale aux insurgés ne peut que conduire à de nouvelles effusions de sang car il est "irréaliste" de penser qu’Assad acceptera de rendre les armes.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors d’une conférence de presse samedi à Sotchi avec son homologue japonais Koichiro Gemba, a dit craindre une tragédie "imminente" à Alep.
"Malheureusement, nos partenaires occidentaux, avec des pays voisins de la Syrie, encouragent, soutiennent et dirigent la lutte armée contre le régime syrien", a-t-il déploré. "Le prix à payer pour tout cela, ce seront de nouvelles effusions de sang."
Moscou veut que les Occidentaux et les pays arabes fassent pression sur les rebelles pour qu’ils suspendent les combats et acceptent une solution négociée.
Le Kremlin a par ailleurs dit son refus de laisser inspecter ses navires de commerce en route pour la Syrie, comme le prévoient les sanctions de l’Union européenne destinées à empêcher l’envoi d’armes au régime de Damas.
"Nous n’envisageons pas de nous associer à ces appels européens et nous n’autoriserons pas la fouille des navires qui battent pavillon russe", a dit le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Alexandre Loukachevitch.
Vendredi, Navi Pillay, haut commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, a exhorté les combattants des deux bords à épargner la population civile à Alep.
Le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, s’est également dit "profondément préoccupé" par une possible utilisation d’armes chimiques par le gouvernement syrien. "Je demande (...) aux autorités syriennes de s’engager catégoriquement à n’utiliser en aucune circonstance des armes chimiques ou de destruction massive", a-t-il dit.

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Déluge de feu et panique dans les quartiers rebelles d’Alep
Immeubles en flammes, hélicoptères mitraillant les positions ennemies, familles paniquées à la recherche d’abris : le quartier de Salaheddine à Alep, où des insurgés résistaient aux assauts de l’armée syrienne, était samedi sous un déluge de feu.
Des familles avec leurs bébés couraient dans les rues pour se mettre à l’abri des bombardements, emportant parfois quelques boîtes de conserve, des bouteilles de lait et de l’eau, a constaté un correspondant de l’AFP.
Forte de sa puissance de feu, l’armée syrienne a lancé l’assaut à l’aube contre la métropole du nord pour tenter d’écraser dans le sang les rebelles retranchés dans le sud-ouest de la ville, où se situe Salaheddine, principal bastion insurgé.
Les bombardements ont commencé tôt le matin, avec des hélicoptères et des chars en action, avant de devenir intermittents dans l’après-midi.
A Salaheddine, de nombreux habitants se sont réfugiés dans des sous-sols, dont trois femmes armées de petits pistolets. "Je préfère la mort plutôt que d’être attaquée par l’armée du régime", affirme l’une d’entre elles à l’AFP.
Tout le quartier est cerné. Les combattants sont des opposants syriens et une poignée d’étrangers qui affirment appartenir au "Liwa Tawhid al-Moujahidine", la Brigade de l’unification des Moujahidines (combattants islamistes).
Parmi ces quelques étrangers, certains se présentent comme des Tchétchènes, des Algériens, des Suédois et des Français de confession musulmane.
Le correspondant de l’AFP a assisté à une offensive de l’armée venue de Hamdaniyé, un secteur proche, qui a été repoussée par les rebelles.
Sur la chaussée, on voit les carcasses de trois chars et de deux blindés détruits par les rebelles, et les corps de six soldats et quatre insurgés.
D’autres canons et chars BMB détruits traînent sur un grand boulevard entre Hamdaniyé et Salaheddine — à leur côté, gisent cinq corps de soldats.
Une vidéo diffusée par des militants sur internet montre des rebelles montés sur une fourgonnette rouge — sur laquelle est écrit en blanc le nom de la "Brigade de l’unification des Moujahidines" — tirant à la mitrailleuse en direction des hélicoptères de l’armée, des salves saluées par les cris d’autres rebelles postés dans les rues.
Dans une autre vidéo, un immeuble est en flammes tandis que retentissent des tirs nourris et des sourates du Coran récitées par le muezzin d’une mosquée.
Depuis vendredi, nombre de femmes et d’enfants ont fui le quartier pour trouver refuge dans d’autres secteurs de la ville et seule une partie des hommes est restée. Il n’y a ni eau, ni électricité.
Selon le correspondant de l’AFP, les habitants ont de grandes difficultés à se ravitailler en pain. De nombreux civils se sont abrités dans les sous-sols des maisons.
"Les gens se réfugient dans les écoles et dans les parcs publics et tout le monde les aide à trouver un endroit où s’installer", affirme Lana, une assistante sociale de 26 ans vivant dans le centre d’Alep, moins affecté par les violences."Il y a des milliers de personnes dans les rues fuyant les bombardements, elles sont terrorisées par les hélicoptères qui survolent à basse altitude" les immeubles, affirme à l’AFP Amer, porte-parole d’un réseau de militants à Alep en contact avec les habitants.
"Ils ne peuvent pas sortir de la ville", affirme-t-il, contacté visa Skype.
Une source de sécurité syrienne affirme d’ailleurs à l’AFP que "les quartiers chauds sont complètement bouclés pour empêcher les terroristes de s’échapper", en référence aux rebelles.
Selon un militant à Alep, "certains soldats se font passer pour des rebelles en installant des barrages avec le drapeau de la rébellion pour pièger les militants qui transportent de l’aide entre les quartiers sûrs et les quartiers chauds".

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Hollande appelle à une intervention rapide du Conseil de sécurité
Le président François Hollande a appelé samedi à une intervention rapide du Conseil de sécurité de l’ONU pour éviter de nouveaux massacres en Syrie, en marge d’une visite à Monlezun, dans le Gers. "Je m’adresse une fois encore à la Russie et à la Chine pour qu’ils prennent en considération que ce sera le chaos et la guerre civile si (le président syrien) Bashar el-Assad n’est pas à un moment empêché", a souligné le chef de l’État.
"Le régime de Bachar el-Assad sait qu’il est condamné et donc il va utiliser la force jusqu’au bout", a-t-il jugé. "La seule solution qui permettra de réconcilier et de réunir les Syriens, ce sera le départ de Bachar el-Assad et la constitution d’un gouvernement de transition", a-t-il poursuivi. "Il n’est pas trop tard, mais chaque jour qui passe, c’est une répression, des soulèvements et donc des massacres", a-t-il dit.

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La Russie refusera que ses navires soient inspectés
La Russie a averti samedi qu’elle ne coopérerait pas à la mise en oeuvre d’une nouvelle série de sanctions de l’Union européenne contre la Syrie et qu’elle n’accepterait aucune inspection des ses navires.
"Nous n’envisageons pas une quelconque participation à la mise en oeuvre des décisions de l’Union européenne dirigées contre la Syrie", a déclaré dans un communiqué Alexandre Loukachevitch, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères. "Entre autres choses, nous ne tiendrons pas compte des requêtes et nous ne donnerons pas notre accord à la fouille de navires naviguant sous pavillon russe ni au recours à d’autres mesures restrictives", a-t-il ajouté, dans ce texte publié sur le site internet du ministère. La Russie avait condamné mercredi les nouvelles sanctions imposées lundi par l’UE à la Syrie, les qualifiant de "blocus". Ces mesures comprennent notamment de nouveaux gels d’avoirs ainsi que l’obligation de contrôler des navires et aéronefs soupçonnés de transporter des armes à destination du régime de Damas.
"De fait, les mesures prises par l’Union européenne peuvent être considérées comme un blocus aérien et maritime", avait réagi le ministère russe des Affaires étrangères. La Russie est hostile aux sanctions unilatérales, qu’elle juge "contre-productives". Partenaire de longue date du régime syrien auquel elle livre des armes, elle a bloqué la semaine dernière, pour la troisième fois, une résolution occidentale au Conseil de sécurité de l’ONU menaçant Damas de sanctions.

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