Il faut compter entre 1.500 et 5.000 euros pour un faux passeport, entre
800 et 1.000 pour une traversée en barque vers la Turquie. Mais pour
quitter Chypre, les réfugiés syriens sont prêts à tout.
Ils avaient dépensé jusqu'à 6.500 euros pour s'entasser sur un bateau et
rejoindre l'Italie avant, espéraient-ils, de gagner les Pays-Bas,
l'Allemagne ou la Suède.
Mais le petit chalutier parti de Turquie a été abandonné en pleine mer au large de Chypre fin septembre.
Secourus par un bateau de croisière, les 345 réfugiés ont été installés
dans un camp de tentes à Kokkinotrimithia, près de Nicosie. Pendant plus
de trois mois, les autorités chypriotes y ont organisé la sécurité, la
nourriture, les soins, mais samedi, la protection civile et les médecins
sont partis.
Le camp doit fermer définitivement fin janvier, ont prévenu les
autorités, accusées de vouloir pousser les réfugiés à demander l'asile à
Chypre. Contactées, elle n'ont indiqué n'avoir "aucune annonce à
faire".
Mais sur les quelque 200 Syriens toujours au camp, aucun ne souhaite passer plus de temps sur l'île.
Ici "il n'y a pas les avantages qui existent pour les réfugiés dans les
autres pays européens", comme l'éducation ou le logement, explique Salwa
(un pseudonyme).
Mariée, mère de 3 enfants, elle a laissé ses deux fils en Syrie pour
fuir avec sa fille. "Je ne peux pas faire venir mes enfants, alors c'est
totalement impossible que je m'installe ici", ajoute-t-elle,
inflexible.
Dans la législation chypriote, le regroupement familial n'est garanti
que pour les personnes avec un statut de réfugié. Or, en 2013, à
l'exception d'un, aucun Syrien n'a reçu ce statut, selon le Conseil
européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE).
L'immense majorité bénéficie du statut dit de "protection subsidiaire",
qui restreint drastiquement les droits à faire venir sa famille, selon
le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR).
Alors, à Kokkinotrimithia, les journées sont en grande partie consacrées à organiser, encore et toujours, le départ.
"On a fait le tour de toutes les ambassades pour essayer de partir de façon légale", mais sans résultats, explique Salwa.
Selon des données du HCR en juillet, seuls 4% des près de 3 millions de
Syriens ayant fui la guerre ont trouvé asile dans des pays européens.
- 'Ruinés' -
En l'absence de police pour surveiller le camp, les passeurs affluent
chaque jour, selon ce que racontent les réfugiés à Alexandra Verniers,
de la Croix-Rouge.
"D'abord, on a payé des millions (de livres syriennes) pour partir de
Turquie pour aller dans un pays européen. Et maintenant, des gens
profitent de notre faiblesse pour récupérer plus d'argent en nous
promettant de nous emmener ailleurs. On est ruinés", conclut Salwa.
Dans le camp, beaucoup n'en sont plus à leur première tentative de départ.
Bassam, un professeur de 25 ans, a acheté 5.000 euros un faux passeport à
un trafiquant à Chypre-Nord (RTCN), la partie de l'île occupée par la
Turquie depuis 1974 et reconnue uniquement par Ankara. Mais il s'est
fait arrêter avant de pouvoir fuir.
Salma (un nom d'emprunt), 18 ans, est arrivée à Chypre avec sa mère, son
frère et sa soeur. L'une est docteur, l'autre étudiant en ingénierie.
Leur mère souffre d'un cancer. Après plusieurs semaines sous la tente,
ils décident de tenter le départ avec de faux passeports européens,
payés 1.500 euros pièce.
Ils parviennent à quitter l'île et à atterrir à Istanbul. Mais la police
turque les arrête au moment de prendre l'avion pour le Danemark. Retour
à Chypre, retour au camp.
Abd el-Latif aussi a essayé. "Une fois arrivé à Mersin (en Turquie),
l'idée était de remonter tout de suite dans un bateau pour l'Europe". Il
se promène dans les rues de Nicosie à la recherche d'un passeur.
Rapidement, il en trouve un, négocie ses conditions et passe de nuit la
ligne qui sépare Chypre de la RTCN. Encore une arrestation, et un retour
au camp.
Lundi, une quinzaine de réfugiés ont réussi à partir, raconte-t-on entre
les tentes. Chacun a déboursé 1.000 euros pour rejoindre la Turquie,
explique Salma, chez qui la lassitude le dispute à la colère.
"Honnêtement, on ne pensait pas que les pays européens nous traiteraient
comme ça... Pourquoi nous ont-ils sauvés s'ils veulent nous laisser
mourir ici ?".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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