jeudi 29 janvier 2015

Égypte : Tension à tous les étages

Quatre ans après la chute de l’ex-raïs Hosni Moubarak, l’Égypte a de nouveau à sa tête un militaire, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi. Le système que son régime a mis en place rend inutile la déclaration de l’état d’urgence. Avant l’anniversaire de la révolution cette année, les arrestations préventives se sont multipliées. Des centaines, selon les journaux. "On les accuse de former des cellules terroristes. La plupart du temps, il s’agit de jeunes opposés au pouvoir, qui ont la langue bien pendue, et souvent sympathisants des Frères musulmans, mais rien de plus", dit Mohamed Khedr, un avocat égyptien, idéologiquement peu favorable aux islamistes, mais qui s’occupe des cas de prisonniers politiques.
Depuis le renversement, à l’été 2013, de Mohamed Morsi, qui a été le seul président civil de l’Égypte, il y aurait eu plus de 40 000 arrestations politiques, selon des statistiques parlantes, mais peut-être exagérées, car rassemblées par les activistes. Une loi récente, fin 2014, place les bâtiments publics et l’infrastructure du pays sous la protection de l’armée : elle permet de traduire en cour martiale quiconque est perçu comme une menace pour ces lieux. Plus d’un millier de détenus ont été confiés à la justice militaire. Si l’on ajoute à cela les tribunaux civils "spécial terrorisme" qui ont été créés en décembre 2013, "Sissi a mis en place un système qui rend inutile la déclaration de l’état d’urgence", constate Joe Stork de Human Rights Watch. La loi d’état d’urgence est restée en place des dizaines d’années sous Moubarak. "Ces cours turbinent à une vitesse qui dépasse largement celle de l’époque Moubarak", ajoute M. Stork.
Les services de sécurité ont toujours la même réputation que sous Moubarak : torture - selon un journal égyptien, le Watan, plus de 90 morts en détention en 2014 – surveillance des opposants, arrestations arbitraires, bavures et exécutions extrajudiciaires au Sinaï dans les opérations antiterroristes, et dispersion des manifestations dans le sang. Les autorités se plaignent de l’insistance de la presse étrangère à couvrir ces atteintes aux droits de l’homme. Le ministère des Affaires étrangères égyptien a fait savoir ce mardi 27 janvier que "les coupables des morts au cours des manifestations seront recherchés et jugés". La justice ne paraît guère être devenue plus indépendante que sous Moubarak. Les avocats des prisonniers dits politiques parlent souvent de ce "coup de fil" venant du bureau du procureur, qui précède le verdict. Le gouvernement, au contraire, assure de l’indépendance de la magistrature.
Le discours officiel oscille entre la promotion et le remaniement du soulèvement du 25 janvier 2011. Parfois, le régime actuel en est son héritier, grâce au soulèvement du 30 juin 2013 contre les Frères qui aurait permis de "corriger le chemin de la révolution". Parfois, 2011 n'était qu'un complot financé par de nombreux pays considérés comme ennemis, États-Unis, Qatar, Turquie, Israël, etc. afin de mettre au pouvoir les islamistes. De leur côté, les différents groupes d’opposition se revendiquent comme les seuls héritiers de 2011, sans beaucoup se soucier de vraisemblance.
L’opposition est marginalisée, sans leader, sans médias indépendants facilement accessibles. Beaucoup sont en prison, sinon en exil, ou désabusés. Et les deux tendances principales de l’opposition sont toujours divisées. Les pro-Frères musulmans mettent en avant le massacre de Rabaa en août 2013, ce que l’autre faction peut comprendre, mais appellent aussi au retour de Mohamed Morsi, et utilisent des slogans d’islam politique, ce qui ne va pas du tout à l’autre groupe de l’opposition (composé par exemple du Dostour, du 6 avril, etc.). L’activisme du deuxième groupe repose sur beaucoup de campagnes en ligne, quelques petites manifestations, et l’énorme travail des avocats. L’activisme des sympathisants islamistes se voit un peu plus sur le terrain, avec de fréquentes petites manifestations un peu partout en Égypte, au moins hebdomadaires.Les islamistes reprochent aux libéraux et gauchistes d’avoir soutenu l’armée contre Morsi, au risque d’avoir approuvé, ou donné l’impression d’approuver, leur répression. Et les libéraux et gauchistes reprochent aux Frères leur complaisance à l’égard du système en place lorsqu’ils cherchaient à arriver au pouvoir, leurs tendances à l’autoritarisme et au népotisme – et enfin, ces jours-ci, l’inquiétant ressentiment d’une petite partie d’entre eux, qui les conduit à approuver les attentats contre les forces de l’ordre. Une autre partie ne croit tout simplement pas aux attaques terroristes qui se produisent en Égypte et les attribue à des mises en scène des services de renseignements.
Les autorités égyptiennes annoncent régulièrement avoir désamorcé de nombreuses bombes. Au mois de janvier, un policier égyptien aurait été kidnappé et assassiné par la branche égyptienne de Daesh, l’État du Sinaï, vidéo à l’appui. Un peu partout en Égypte, on rapporte des attaques contre les forces de sécurité. Des victimes civiles, vraisemblablement considérées comme des informateurs, sont à déplorer au Sinaï. Un policier est mort dans les affrontements du 25 janvier, qui ont fait plusieurs dizaines de victimes au total. Le gouvernement égyptien dit ne pas comprendre pourquoi la presse étrangère "ignore les crimes des Frères musulmans et les actes de terreur commis contre les civils et les forces de sécurité. Des bus, des pylônes électriques ont aussi été brûlés ou sabotés."Sur les réseaux sociaux, des groupuscules qui se revendiquent "anonymes" ou "inconnus" comme les nomment parfois les médias, en sous-entendant qu’il s’agit des pro-Frères, ou des gauchistes dévoilant leurs tendances islamistes cachées, se réjouissent en effet clairement des attaques contre les forces de sécurité. Un prédicateur extrémiste islamiste, Wagdi Ghoneim, estime qu’un présentateur de télévision mérite la mort pour avoir appelé, dans son habituelle exagération pro-régime, à l’extermination de Matareya, un quartier du Caire qui se prenait depuis le 25 janvier pour le foyer d’une nouvelle révolution.Negad el Borai, un célèbre avocat égyptien, met en garde : "En interdisant même les manifestations pacifiques, le gouvernement pousse presque à l’action violente. Cela va entraîner une spirale de violence et de contre-violence."

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