Quatre ans après la chute de l’ex-raïs Hosni
Moubarak, l’Égypte a de nouveau à sa tête un militaire, le maréchal
Abdel Fattah al-Sissi. Le système que son régime a mis en place rend
inutile la déclaration de l’état d’urgence. Avant l’anniversaire de la
révolution cette année, les arrestations préventives se sont
multipliées. Des centaines, selon les journaux. "On les accuse de former
des cellules terroristes. La plupart du temps, il s’agit de jeunes
opposés au pouvoir, qui ont la langue bien pendue, et souvent
sympathisants des Frères musulmans, mais rien de plus", dit Mohamed
Khedr, un avocat égyptien, idéologiquement peu favorable aux islamistes,
mais qui s’occupe des cas de prisonniers politiques.
Depuis le renversement, à l’été 2013, de Mohamed Morsi, qui a été le
seul président civil de l’Égypte, il y aurait eu plus de 40 000
arrestations politiques, selon des statistiques parlantes, mais
peut-être exagérées, car rassemblées par les activistes. Une loi
récente, fin 2014, place les bâtiments publics et l’infrastructure du
pays sous la protection de l’armée : elle permet de traduire en cour
martiale quiconque est perçu comme une menace pour ces lieux. Plus d’un
millier de détenus ont été confiés à la justice militaire. Si l’on
ajoute à cela les tribunaux civils "spécial terrorisme" qui ont été
créés en décembre 2013, "Sissi a mis en place un système qui rend
inutile la déclaration de l’état d’urgence", constate Joe Stork de Human
Rights Watch. La loi d’état d’urgence est restée en place des dizaines
d’années sous Moubarak. "Ces cours turbinent à une vitesse qui dépasse
largement celle de l’époque Moubarak", ajoute M. Stork.
Les services de sécurité ont toujours la même réputation que sous
Moubarak : torture - selon un journal égyptien, le Watan, plus de 90
morts en détention en 2014 – surveillance des opposants, arrestations
arbitraires, bavures et exécutions extrajudiciaires au Sinaï dans les
opérations antiterroristes, et dispersion des manifestations dans le
sang. Les autorités se plaignent de l’insistance de la presse étrangère à
couvrir ces atteintes aux droits de l’homme. Le ministère des Affaires
étrangères égyptien a fait savoir ce mardi 27 janvier que "les coupables
des morts au cours des manifestations seront recherchés et jugés". La
justice ne paraît guère être devenue plus indépendante que sous
Moubarak. Les avocats des prisonniers dits politiques parlent souvent de
ce "coup de fil" venant du bureau du procureur, qui précède le verdict.
Le gouvernement, au contraire, assure de l’indépendance de la
magistrature.
Le discours officiel oscille entre la promotion et le remaniement du
soulèvement du 25 janvier 2011. Parfois, le régime actuel en est son
héritier, grâce au soulèvement du 30 juin 2013 contre les Frères qui
aurait permis de "corriger le chemin de la révolution". Parfois, 2011
n'était qu'un complot financé par de nombreux pays considérés comme
ennemis, États-Unis, Qatar, Turquie, Israël, etc. afin de mettre au
pouvoir les islamistes. De leur côté, les différents groupes
d’opposition se revendiquent comme les seuls héritiers de 2011, sans
beaucoup se soucier de vraisemblance.
L’opposition est marginalisée, sans leader, sans médias indépendants
facilement accessibles. Beaucoup sont en prison, sinon en exil, ou
désabusés. Et les deux tendances principales de l’opposition sont
toujours divisées. Les pro-Frères musulmans mettent en avant le massacre
de Rabaa en août 2013, ce que l’autre faction peut comprendre, mais
appellent aussi au retour de Mohamed Morsi, et utilisent des slogans
d’islam politique, ce qui ne va pas du tout à l’autre groupe de
l’opposition (composé par exemple du Dostour, du 6 avril, etc.).
L’activisme du deuxième groupe repose sur beaucoup de campagnes en
ligne, quelques petites manifestations, et l’énorme travail des avocats.
L’activisme des sympathisants islamistes se voit un peu plus sur le
terrain, avec de fréquentes petites manifestations un peu partout en
Égypte, au moins hebdomadaires.Les islamistes reprochent aux libéraux et
gauchistes d’avoir soutenu l’armée contre Morsi, au risque d’avoir
approuvé, ou donné l’impression d’approuver, leur répression. Et les
libéraux et gauchistes reprochent aux Frères leur complaisance à l’égard
du système en place lorsqu’ils cherchaient à arriver au pouvoir, leurs
tendances à l’autoritarisme et au népotisme – et enfin, ces jours-ci,
l’inquiétant ressentiment d’une petite partie d’entre eux, qui les
conduit à approuver les attentats contre les forces de l’ordre. Une
autre partie ne croit tout simplement pas aux attaques terroristes qui
se produisent en Égypte et les attribue à des mises en scène des
services de renseignements.
Les autorités égyptiennes annoncent régulièrement avoir désamorcé de
nombreuses bombes. Au mois de janvier, un policier égyptien aurait été
kidnappé et assassiné par la branche égyptienne de Daesh, l’État du
Sinaï, vidéo à l’appui. Un peu partout en Égypte, on rapporte des
attaques contre les forces de sécurité. Des victimes civiles,
vraisemblablement considérées comme des informateurs, sont à déplorer au
Sinaï. Un policier est mort dans les affrontements du 25 janvier, qui
ont fait plusieurs dizaines de victimes au total. Le gouvernement
égyptien dit ne pas comprendre pourquoi la presse étrangère "ignore les
crimes des Frères musulmans et les actes de terreur commis contre les
civils et les forces de sécurité. Des bus, des pylônes électriques ont
aussi été brûlés ou sabotés."Sur les réseaux sociaux, des groupuscules
qui se revendiquent "anonymes" ou "inconnus" comme les nomment parfois
les médias, en sous-entendant qu’il s’agit des pro-Frères, ou des
gauchistes dévoilant leurs tendances islamistes cachées, se réjouissent
en effet clairement des attaques contre les forces de sécurité. Un
prédicateur extrémiste islamiste, Wagdi Ghoneim, estime qu’un
présentateur de télévision mérite la mort pour avoir appelé, dans son
habituelle exagération pro-régime, à l’extermination de Matareya, un
quartier du Caire qui se prenait depuis le 25 janvier pour le foyer
d’une nouvelle révolution.Negad el Borai, un célèbre avocat égyptien,
met en garde : "En interdisant même les manifestations pacifiques, le
gouvernement pousse presque à l’action violente. Cela va entraîner une
spirale de violence et de contre-violence."
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