Crise de nerfs à tous les étages de la vie politique
tunisienne depuis que le chef du gouvernement a dévoilé la liste de ses
ministres. Sa copie fut publiquement biffée jusqu’au sein de Nidaa
Tounes, le parti du président de la République. Flash-back sur une
incroyable succession de maladresses.
L'annonce de la liste gouvernementale
Nous sommes le vendredi 23 janvier, 14 heures. Le Premier ministre
annonce lui-même à la télévision la liste de ses ministres. Liste qu’il
devait présenter à l’Assemblée des représentants du peuple pour
validation. Dès dimanche, on pressent que le vote sera repoussé. Nidaa
Tounes, parvenu en tête aux législatives, ne détient pas la majorité.
Avec 86 députés sur 217, il doit composer. Un seul parti, l’UPL de
l’homme d’affaires Slim Riahi, a accepté d’en être. Et ça gronde dans
les rangs des autres formations. Afek Tounes (libéral), Ennahda, le
Front populaire (ext-gauche)… annoncent qu’ils ne voteront pas la
confiance. Les 24 ministres et les 13 secrétaires d’État au mieux ne
convainquent pas, au pire déclenchent des polémiques.
La valse des ministres "compromis"
Lundi 26 janvier. Mehdi Jomâa, locataire du Matignon tunisois, se rend
au palais de Carthage. Il présente la démission de son gouvernement au
président de la République Beji Caïd Essebsi, fraîchement revenu de
Riyad, pour cause d’obsèques du roi Abdallah. En parallèle, Habid Essid
devient un équilibriste. Le Premier ministre désigné le 5 janvier 2015
peine à composer son équipe. La Constitution lui accorde trente jours,
renouvelable une fois. Le ministre de l’Intérieur, un magistrat
quinquagénaire, pose problème. Son attitude durant la dictature
déclenche l’ire de Kalthoun Kannou, ex-candidate aux présidentielles.
Cette juge au passé sans tâche pointe du doigt via un statut Facebook le
rôle ambigu de Najem Gharsallah. Elle l’accuse d’avoir harcelé des
magistrats. Sous Bourguiba puis Ben Ali, le ministère de l’Intérieur fut
central, crucial. Et il l’est toujours. Depuis la révolution, aucun
gouvernement (quatre se sont succédé depuis 2011) n’a réellement réformé
cette boîte noire de l’ancien régime. La pluie de critique contraint
Essid à changer de choix pour le 7, avenue Bourguiba, siège de
l’Intérieur à Tunis. Pour couronner le tout, le nouveau ministre des TIC
présente sa démission 24 heures après sa nomination. Karim Skik a
découvert a posteriori que ses sociétés ont des contrats avec plusieurs
administrations. Embarras. Le ministre du Tourisme provoque l’ire des
professionnels. Évincé. Celui des Sports provoque un conflit d’intérêts.
Balayé. Et le jeu des chaises musicales bat son plein. Selma Elloumi
Rekik annoncée à la formation professionnelle atterrirait au tourisme.
Le recalé aux Sports hériterait d’un autre portefeuille. Etc., etc.
Désormais, l’annonce du gouvernement Essid 2 est prévue pour le 2
février. Le vote de confiance, le 3. Un tempo d’autant plus fragile que
BCE s’est envolé pour Addis Abeba pour quatre jours.
Le péché originel du manque de majorité
Le décor est campé très exactement le 26 octobre 2014. Les élections
législatives, à la proportionnelle au plus fort, placent le parti fondé
pour et par BCE en première place, mais sans marge de manœuvre. Ses 86
élus ne lui suffisent pas. Il lui faut 23 alliés pour permettre
d’obtenir une courte majorité à l’ARP. Avec 69 députés, les islamistes
Ennahda sont battus, mais de peu. La lecture des jeux politiques qui se
déroulent aux quatre coins de Tunis prouve que le pays est difficilement
gouvernable. Trois mois après le scrutin législatif, on ne connaît ni
le cap programmatique ni l’équipe chargée de l’appliquer. En coulisses,
nombreux sont ceux qui jugent que "choisir des ministres sans avoir de
feuille de route est une méthode absurde".
Un vrai parfum de IVe République française
Au palais de Carthage, quelques conseillers du président de la
République épluchent les CV, dosent les renvois d’ascenseur et les
promotions négociées durant la campagne. Un parfum de IVe République à
la française ou de combinazzione façon Italie des années 80-90. Les
négociations ont repris tous azimuts. Essid a revu Afek Tounes, a repris
langue avec le Front populaire, cajole Ennahda tout en choyant les
députés qui ne font pas partie d’un groupe au sein de l’ARP. Au menu des
discussions : les ambassades, les postes dans la fonction publique… Une
grande braderie qui exaspère la population étranglée par l’inflation et
le chômage de masse. Pas de quoi réconcilier le peuple avec la
politique. Près de cinq millions de Tunisiens en âge de voter ne se sont
pas rendus aux urnes sur un total de huit millions quatre…
Une Assemblée à l’image du pays : sans majorité
Après avoir fait campagne sur le thème de TSE (Tout Sauf Ennahda), Nidaa
Tounes s’apprête à gouverner avec. Ce parti, rassemblement de
syndicalistes, d’hommes de gauche, d’anciens du RCD (le parti de Ben
Ali) se trouve aujourd’hui coincé. Ses ténors se bousculent sur les
radios et télévisions pour justifier ce qu’ils vomissaient sur les
estrades électorales. L’Assemblée des représentants du peuple est la
photographie de la Tunisie réelle : un pays profondément divisé. Les
deux prochaines années seront riches en lois organiques, en réformes
systémiques, en mesures impopulaires. Et pour cela, il faut une majorité
forte à l’ARP. D’où l’incontournable alliance avec les islamistes. Et
Rached Ghannouchi manie la dialectique et les jeux d’ombre avec une
aisance hors-norme.
(30-01-2015)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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