samedi 31 janvier 2015

Tunisie : couacs en cascade dans le gouvernement Essid

Crise de nerfs à tous les étages de la vie politique tunisienne depuis que le chef du gouvernement a dévoilé la liste de ses ministres. Sa copie fut publiquement biffée jusqu’au sein de Nidaa Tounes, le parti du président de la République. Flash-back sur une incroyable succession de maladresses.
L'annonce de la liste gouvernementale
Nous sommes le vendredi 23 janvier, 14 heures. Le Premier ministre annonce lui-même à la télévision la liste de ses ministres. Liste qu’il devait présenter à l’Assemblée des représentants du peuple pour validation. Dès dimanche, on pressent que le vote sera repoussé. Nidaa Tounes, parvenu en tête aux législatives, ne détient pas la majorité. Avec 86 députés sur 217, il doit composer. Un seul parti, l’UPL de l’homme d’affaires Slim Riahi, a accepté d’en être. Et ça gronde dans les rangs des autres formations. Afek Tounes (libéral), Ennahda, le Front populaire (ext-gauche)… annoncent qu’ils ne voteront pas la confiance. Les 24 ministres et les 13 secrétaires d’État au mieux ne convainquent pas, au pire déclenchent des polémiques.

La valse des ministres "compromis"
Lundi 26 janvier. Mehdi Jomâa, locataire du Matignon tunisois, se rend au palais de Carthage. Il présente la démission de son gouvernement au président de la République Beji Caïd Essebsi, fraîchement revenu de Riyad, pour cause d’obsèques du roi Abdallah. En parallèle, Habid Essid devient un équilibriste. Le Premier ministre désigné le 5 janvier 2015 peine à composer son équipe. La Constitution lui accorde trente jours, renouvelable une fois. Le ministre de l’Intérieur, un magistrat quinquagénaire, pose problème. Son attitude durant la dictature déclenche l’ire de Kalthoun Kannou, ex-candidate aux présidentielles. Cette juge au passé sans tâche pointe du doigt via un statut Facebook le rôle ambigu de Najem Gharsallah. Elle l’accuse d’avoir harcelé des magistrats. Sous Bourguiba puis Ben Ali, le ministère de l’Intérieur fut central, crucial. Et il l’est toujours. Depuis la révolution, aucun gouvernement (quatre se sont succédé depuis 2011) n’a réellement réformé cette boîte noire de l’ancien régime. La pluie de critique contraint Essid à changer de choix pour le 7, avenue Bourguiba, siège de l’Intérieur à Tunis. Pour couronner le tout, le nouveau ministre des TIC présente sa démission 24 heures après sa nomination. Karim Skik a découvert a posteriori que ses sociétés ont des contrats avec plusieurs administrations. Embarras. Le ministre du Tourisme provoque l’ire des professionnels. Évincé. Celui des Sports provoque un conflit d’intérêts. Balayé. Et le jeu des chaises musicales bat son plein. Selma Elloumi Rekik annoncée à la formation professionnelle atterrirait au tourisme. Le recalé aux Sports hériterait d’un autre portefeuille. Etc., etc. Désormais, l’annonce du gouvernement Essid 2 est prévue pour le 2 février. Le vote de confiance, le 3. Un tempo d’autant plus fragile que BCE s’est envolé pour Addis Abeba pour quatre jours.

Le péché originel du manque de majorité
Le décor est campé très exactement le 26 octobre 2014. Les élections législatives, à la proportionnelle au plus fort, placent le parti fondé pour et par BCE en première place, mais sans marge de manœuvre. Ses 86 élus ne lui suffisent pas. Il lui faut 23 alliés pour permettre d’obtenir une courte majorité à l’ARP. Avec 69 députés, les islamistes Ennahda sont battus, mais de peu. La lecture des jeux politiques qui se déroulent aux quatre coins de Tunis prouve que le pays est difficilement gouvernable. Trois mois après le scrutin législatif, on ne connaît ni le cap programmatique ni l’équipe chargée de l’appliquer. En coulisses, nombreux sont ceux qui jugent que "choisir des ministres sans avoir de feuille de route est une méthode absurde".

Un vrai parfum de IVe République française
Au palais de Carthage, quelques conseillers du président de la République épluchent les CV, dosent les renvois d’ascenseur et les promotions négociées durant la campagne. Un parfum de IVe République à la française ou de combinazzione façon Italie des années 80-90. Les négociations ont repris tous azimuts. Essid a revu Afek Tounes, a repris langue avec le Front populaire, cajole Ennahda tout en choyant les députés qui ne font pas partie d’un groupe au sein de l’ARP. Au menu des discussions : les ambassades, les postes dans la fonction publique… Une grande braderie qui exaspère la population étranglée par l’inflation et le chômage de masse. Pas de quoi réconcilier le peuple avec la politique. Près de cinq millions de Tunisiens en âge de voter ne se sont pas rendus aux urnes sur un total de huit millions quatre…

Une Assemblée à l’image du pays : sans majorité
Après avoir fait campagne sur le thème de TSE (Tout Sauf Ennahda), Nidaa Tounes s’apprête à gouverner avec. Ce parti, rassemblement de syndicalistes, d’hommes de gauche, d’anciens du RCD (le parti de Ben Ali) se trouve aujourd’hui coincé. Ses ténors se bousculent sur les radios et télévisions pour justifier ce qu’ils vomissaient sur les estrades électorales. L’Assemblée des représentants du peuple est la photographie de la Tunisie réelle : un pays profondément divisé. Les deux prochaines années seront riches en lois organiques, en réformes systémiques, en mesures impopulaires. Et pour cela, il faut une majorité forte à l’ARP. D’où l’incontournable alliance avec les islamistes. Et Rached Ghannouchi manie la dialectique et les jeux d’ombre avec une aisance hors-norme.

(30-01-2015)

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