Un crime multiple
Les crimes épouvantables au siège de la revue parisienne «
Charlie Hebdo » constituent un crime multiple. Les victimes
directes furent les personnes tuées sur place, mais les effets
vont bien au-delà de ceux qui furent pris pour cibles par les
agresseurs pour rejaillir sur les communautés musulmanes, arabes
et africaines en France en particulier et en Europe en général.
Ils arrivent jusqu’à nous, ici, en Palestine occupée.
Prenant parti
Comme d’habitude, les conclusions sur ce qui a motivé les
attaques de Paris ont été tirées sur la base de « preuves »
fournies par des médias et des publications de presse, sans
possibilité d’une audition ou de la présentation de preuves
juridiques.
La façon simpliste de prendre parti telle qu’exprimée par la
déclaration généralisée, « Je suis Charlie » - adoptée par de
nombreux soi-disant« intellectuels » et « érudits francophones »
- laisse peu de place aux questions complexes, telles que :
Pourquoi est-il amusant de tourner en ridicule les musulmans
quand les plaisanteries du comédien français Dieudonné et du
dessinateur Maurice Sine sont interdites comme « antisémites »
?... Si l’attaque de Paris est une question de liberté
d'expression française, qu’en est-il alors des opérations
militaires de la France au Mali et en Libye ou de son soutien à
la lutte en Syrie ?...Pourquoi ne connaissons-nous pas de «
terrorisme islamique » au Japon, ou en Amérique latine ?...Qui
récolte les fruits de ces attaques ?... Se pourrait-il qu’il y
ait une autre vérité que celle de la version officielle
rapportée par les médias ?... Pourquoi faut-il que les musulmans
s’excusent pour des actes de « terrorisme » quand la plupart des
victimes du terrorisme sont du monde musulman ?... Pourquoi
l’enseignement coranique, «Et endure ce qu’ils disent, et
écarte-toi d’eux d’une façon convenable », Al Muzzamil, verset
10, ne suffirait-il pas pour nous absoudre de toute
responsabilité dans des actes individuels commis par des
psychopathes individuels qui prétendent porter le drapeau de
l’Islam ?...
Unis dans la marche !
En réponse, cependant, il y a eu cette manifestation massive
dans Paris, conduite par des dirigeants de régime oppressifs
venant du monde entier – eux-mêmes coupables de nombreuses
violations des droits de l’homme, notamment de tortures et de
terrorisme d’État. Ces dirigeants ont cherché à se positionner
dans une dichotomie simpliste entre « barbarie contre
civilisation », et à proclamer leur soutien à la « liberté
d’expression ». Mais les dirigeants de notre partie du monde
foulent aux pieds notre humanité quand ils marchent avec les
Français et ils ont été incapables, à plusieurs reprises, de
marcher au nom des vies perdues aux mains du terrorisme et de
l’oppression dans notre monde.
Quelques heures avant l’attaque de Paris, une explosion à Sanaa
causait 40 morts et 70 blessés parmi les jeunes hommes qui
faisaient la queue pour s’inscrire dans une école de police dans
la capitale yéménite ; ce massacre est passé inaperçu dans les
médias locaux et internationaux -, sans parler des meurtres
reconnus et dissimulés qui se commettent quotidiennement dans de
nombreuses régions du monde arabe et musulman. Nos dirigeants
n’ont pas marché pour protester contre la guerre contre Gaza,
contre les meurtres massifs de manifestants place Rabaa au
Caire, ou contre l’usage d’armes chimiques sur les enfants en
Syrie ; ils n’ont pas marché ni manifesté
contre le meurtre, l’injustice ou l’oppression perpétrés contre
leurs propres peuples -, au lieu de cela, ils les autorisent
tacitement, ou ils en sont directement responsables pour
beaucoup d’entre eux.
Quelle ironie, devant un problème français de sécurité
intérieure, de voir les présidents palestinien et israélien unis
dans leur marche !
Pendant que le Président Abbas marchait contre le terrorisme à
Paris, des gens mourraient à Gaza à cause de la tempête de neige
qui frappait une région laissée sans protection après les dégâts
causés parla guerre d’Israël l’été dernier. Le voyage d’Abbas
pour exprimer sa sympathie avec les victimes françaises conduit
les Palestiniens à s’interroger chez eux sur sa réserve à
l’égard des Gazaouis et sur son inertie à soutenir les victimes
de l’agression israélienne – des gens qui sont toujours sans
maison, sans carburant, sans ressources pour affronter
simultanément un hiver mordant et les pertes irréductibles de la
guerre.
Un soutien français et européen accru aux droits palestiniens
Le 2 décembre 2014, les législateurs français ont approuvé par
un vote de 339 voix contre 151, une résolution symbolique, non
contraignante, demandant à leur gouvernement de reconnaître
l’État de Palestine, un évènement qui s’est produit dans le
contexte d’un appui accru en Europe pour redoubler d’efforts
afin de résoudre pacifiquement ce conflit chronique. Fin
décembre, la France, en sa qualité de membre ayant droit de veto
du Conseil de sécurité des Nations-Unies, a soutenu la
proposition(rejetée) au Conseil de Sécurité visant à exiger la
fin de l’occupation israélienne d’ici 2017. La France et
d’autres pays européens ont fait part de critiques contre
l’expansion des colonies en Cisjordanie, et menacé de sanctions
contre elle. Et
en plus, avant l’attaque de Paris, la Cour de justice de l’Union
européenne à Luxembourg a fait droit à la requête de retirer le
Hamas, mouvement de libération nationale palestinien, de la liste
de l’Union européenne des organisations terroristes ; la
décision fera bientôt l’objet d’un appel par l’UE. Tous ces
évènements ont suscité une condamnation officielle et un
ressentiment public en Israël, visant l’Europe et tout
particulièrement la France.
Israël récolte les fruits
Dans le sillage des attaques de Paris, qui incluent aussi une
attaque contre un supermarché cacher où quatre juifs ont trouvé
la mort (quinze autres ont été sauvés par un musulman), non
seulement les officiels israéliens se sont livrés à des
comparaisons arbitraires entre la résistance palestinienne et
les crimes de Paris, mais ils ont également tenté d’exploiter
l’évènement pour générer un soutien à l’occupation et
contrecarrer les critiques qui montent de l’Europe contre les
colonies. Le Président d’Israël a lancé une invitation aux juifs
de France à venir en Israël : «À tous les juifs de France, à
tous les juifs d’Europe, je voudrais dire qu’Israël n’est pas
seulement le lieu vers lequel vous priez, l’État d’Israël est
votre maison ». Le ministre israélien des Affaires étrangères,
Avigdor Liberman, a déclaré au salon de l’Aliya à Paris organisé
par l’Agence juive, « Le message le plus important pour les
juifs français est : immigrer en Israël. Si vous recherchez la
sécurité et un avenir plus sûr pour vos enfants, il n’y a aucune
autre alternative ».
Le ministre israélien du Logement, Uri Ariel, a chargé les
autorités d’explorer les moyens d’agrandir les colonies
existantes en Cisjordanie pour faire la place à la vague
potentielle d’immigrants français. Sionisme et antisémitisme ont
toujours fonctionné ensemble étroitement, pour réaliser
l’occupation de la Palestine.
La spirale de la violence
Étant confrontés à cette spirale de la violence, nous devons
nous appuyer sur l’applicabilité des droits de l'homme à tous
les êtres humains et nous battre contre les réalités et les
discours qui privilégient certains êtres humains plutôt que
d’autres : l’octroi de certains privilèges coloniaux, de
citoyennetés multiples, le droit à immigrer, et le droit à
occuper les terres et les ressources appartenant à d’autres,
tout en faisant de ces autres des sous-hommes apatrides, des
citoyens de nulle part, à qui les droits de l’homme ne sont pas
applicables. Ce sont les réalités et les discours qui créent la
spirale de la violence et menacent la paix dans le monde entier.
Samah Jabr
janvier 2015
Samah Jabr est Jérusalémite,
psychiatre et psychothérapeute, dévouée au bien-être de sa
communauté, au-delà des questions de la maladie mentale.
Traduction : JPP pour les Amis de Jayyous
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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