vendredi 16 janvier 2015

Maroc : Après presqu'un an de crise entre Paris et Rabat, Fabius annonce une visite au Maroc

Près d'un an après le début d'une crise inédite entre Paris et Rabat, le chef de la diplomatie française Laurent Fabius a annoncé jeudi qu'il se rendrait "prochainement" au Maroc pour tenter de rétablir une coopération judiciaire et sécuritaire fondamentale dans le contexte actuel de menace terroriste.
"Je compte me rendre prochainement personnellement dans ce pays, qui, je le répète, est l'ami de la France", a déclaré M. Fabius devant les sénateurs français, affirmant que les deux pays "avançent" pour "trouver des solutions", et soulignant "la nécessité absolue" de rétablir la coopération judiciaire entre les deux pays, suspendue depuis février.
C'est la première fois depuis le début de la crise diplomatique que M. Fabius, qui a rencontré dimanche son homologue marocain Salaheddine Mezouar à Paris, se rendra dans le royaume.
Le contexte international et la menace terroriste ont sans doute accéléré cette volonté de rétablir au plus vite les relations.
Toute la coopération judiciaire avec le Maroc est suspendue depuis près d'un an, avec des répercussions au niveau civil pour les dizaines de milliers de franco-marocains, et au niveau pénal pour toutes les procédures judiciaires entre la France et son ancien protectorat.
Et la coopération sécuritaire, cruciale entre les deux pays qui ont chacun des centaines, voire des milliers de ressortissants tentés par le jihadisme ou enrôlés au sein du groupe Etat islamique (EI), souffre également de cette dispute, selon des sources à Paris et à Rabat, même si des canaux officieux demeurent.
Aux racines de la crise entre deux alliés aux relations traditionnellement bien cadrées, figurent des dépôts de plainte en France contre de hauts dignitaires marocains, des impairs diplomatiques et un rapprochement franco-algérien: autant de motifs de ressentiment qui se sont accumulés à Rabat.
Dans un entretien récent particulièrement offensif à l'hebdomadaire Jeune Afrique, le chef de la diplomatie marocaine Salaheddine Mezouar a estimé que la confiance était "ébranlée" et déploré l'absence de "volonté politique" à Paris pour remettre la relation sur les rails.
Il avait aussi jugé que "le temps de la tutelle" française était révolue en critiquant le rôle de Paris dans la région sahélo-saharienne.
M. Mezouar était certes présent dimanche à l'Elysée avec les dirigeants du monde entier venus à Paris pour manifester leur solidarité à la France endeuillée par les attentats. Mais la délégation marocaine a refusé au dernier moment de se joindre à la marche dans la capitale, pour protester contre les "caricatures blasphématoires du prophète" comme celles de Charlie Hebdo, présentes selon elle dans le défilé d'hommage aux victimes.
Paris, de son côté, s'est contenté jusqu'à ce jour de répéter sa volonté de "reprendre au plus vite le cours normal de la coopération". En réalité, c'est un "froid glacial" qui perdure, selon une source française.
"La relation s'est distendue. Pendant 20 ans, la France a eu des égards très particuliers pour le Maroc. Ce n'est plus le cas", décrypte l'historien spécialiste du Maghreb Pierre Vermeren.
La brouille a été déclenchée le 20 février 2014 par une descente de police à la résidence de l'ambassadeur marocain à Paris, pour notifier une demande d'audition de la justice française au patron du contre-espionnage Abdellatif Hammouchi, accusé de torture par des opposants marocains.
"Au-delà d'être +une mauvaise manière+, la descente policière chez l'ambassadeur a marqué le signal que tout un tas de protections dont bénéficiait le Maroc pouvait désormais tomber", estime M. Vermeren.
La dispute s'est envenimée avec d'autres dépôts de plainte en France, ainsi qu'une série d'impairs diplomatiques, dont une fouille policière inopinée de M. Mezouar à l'aéroport parisien de Roissy en mars, ou une saillie ironique contre le Maroc prêtée à un diplomate français à propos du Sahara Occidental, cause sacrée dans le royaume.
Même si Paris continue à soutenir Rabat sur cette question, le Maroc voit d'un très mauvais oeil le rapprochement franco-algérien opéré depuis l'arrivée au pouvoir du président socialiste François Hollande. Grand rival du royaume, Alger soutient le Polisario, qui réclame l'indépendance du Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole majoritairement contrôlée par le Maroc.
"François Hollande a voulu rééquilibrer les relations vers l'Algérie, et les Marocains l'ont très mal pris. Pour eux, la France est passée du côté de l'Algérie", selon M. Vermeren.

(15-01-2015)

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