La militante de gauche Shaimaa Al-Sabag a été abattue
par des policiers à la veille de l’anniversaire de la révolution
égyptienne. Elle participait à une manifestation pacifique au
centre-ville du Caire, voulait déposer des roses sur la place Tahrir,
quand elle a été touchée par une balle. Triste anniversaire. Quatre ans
après "le Printemps arabe", tout rassemblement dans le centre-ville du
Caire, épicentre historique de la révolution, est violemment réprimé.
Une armada de policiers a été postée autour des principales artères de
la ville, prête à dégainer et tirer à balles réelles, au milieu de la
foule. Le "Downtown" et sa sanctuarisation sont désormais un enjeu de
taille pour les autorités égyptiennes.
La place Tahrir change progressivement de physionomie
"La place Tahrir était devenue un lieu où les Égyptiens se sentaient
libres de manifester", regrette Karim Ibrahim, cofondateur de Takween,
un collectif d’urbanistes chargé de plusieurs projets au Caire. "Ce
n’est plus le cas aujourd’hui. Pour moi, il ne s’agit presque plus d’un
espace public : la station de métro Sadat n’a toujours pas été ouverte,
et cette place, ceinturée de portes, peut être bouclée en quelques
minutes", ajoute-t-il. Pour l’architecte, l’État cherche à donner une
nouvelle image du centre-ville, et effacer par la même occasion la
mémoire de la révolution. Les chantiers s’accélèrent depuis six mois :
les façades de la place Tahrir, de la rue Al-Alfi ou même celles de Qasr
al-Nil se blanchissent peu à peu.
La sanctuarisation de la mémoire est en route au grand dam des militants
Ces opérations de lifting sont la partie la plus visible de la
sanctuarisation de la mémoire révolutionnaire. La démarche n’est pas
nouvelle : très tôt, des collectifs citoyens, à l’instar de Mosireen,
ont senti la nécessité de se raccrocher aux faits et raconter la
répression des manifestants par les forces de sécurité. "Pour ne pas
oublier", écrivait le collectif à la fin d’un film monté à l’occasion du
premier anniversaire de la chute du régime Moubarak.Ces militants
craignaient alors que la révolution, son sens et ses objectifs leur
échappent. Que les tambours de l’histoire officielle travestissent ce
pour quoi ils s’étaient battus. Le pain, la liberté, la justice sociale.
Des signaux d'alerte déjà en 2012
Lors du premier anniversaire de la révolution, en 2012, Mosireen appuie
encore là où ça fait mal faisant remarquer que le ministère de
l’Intérieur célèbre des victimes qu’il a lui-même tuées un an
auparavant. Dans les mois qui suivent la démission d’Hosni Moubarak, le
11 février 2011, le récit des événements révolutionnaires devient un
enjeu existentiel pour tous les acteurs politiques. Lors de l’élection
présidentielle de 2012, tous les candidats s’en réclament. Mohamed
Morsi, candidat des Frères musulmans, inscrit sa victoire dans le
processus de changements enclenché le 25 janvier 2011. C’est d’ailleurs
après sa destitution par l’armée le 3 juillet 2013 que le mot prend une
connotation péjorative. Certains présentateurs de télévision décrivent
sans sourciller la révolution de 2011 comme un complot ourdi par la
confrérie islamiste.
Les politiques revendiquent les deux révolutions
Du côté des autorités politiques, on préfère se revendiquer
officiellement des deux révolutions, celle du 25 janvier 2011 contre
Hosni Moubarak, et celle du 30 juin 2013, jour de grandes manifestations
contre le pouvoir des Frères musulmans. L’actuel président Abdel Fatah
al-Sissi a récemment annoncé la promulgation d’un décret pour
criminaliser les insultes aux deux "révolutions". Une annonce faite au
lendemain du blanchiment de l’ex-raïs par la justice égyptienne.
Beaucoup d’observateurs y voient la marque d’un pouvoir attachée à faire
taire les voix divergentes. Criminaliser toute insulte à la révolution
est, pour eux, un geste contre-révolutionnaire.
Révolution : 2011 comme 1919 et 1952 ?
La révolution égyptienne de 2011 va-t-elle, comme celles de 1919 et
1952, rentrer dans les rangs de l’épopée nationaliste ? Il est trop tôt
pour le dire. Mais les manuels d’histoires ont jusqu’à présent retenu la
version du pouvoir en place. Une histoire parsemée de batailles, de
traités et de complots. "On en sait plus sur la révolution de 1919 en
lisant la Trilogie de Naguib Mahfouz", déplore Iman Farag, chercheuse
spécialiste de l’éducation. "Le récit nationaliste court dans tous les
manuels d’histoire, laissant très peu de place au peuple",
ajoute-t-elle.
(25-01-2015 - Nadéra Bouazza)
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