Le président Béji Caïd Essebsi (g), le
père de l'opposant Chokri Belaid (c) et sa veuve Besma Khalfaoui (d)
lors de la célébration de la révolution au palais présidentiel à Tunis,
le 14 janvier 2015 © AFP - Fethi Belaid
La célébration de la révolution en Tunisie a tourné au désordre au palais présidentiel mercredi, une cérémonie ayant dû être interrompue par les protestations des familles de Tunisiens tués ou blessés pendant le soulèvement.
Le président Béji Caïd Essebsi, élu fin décembre, venait de terminer un discours à l'occasion du quatrième anniversaire de la révolution et décorait des personnalités lorsque des cris se sont élevés dans la salle bondée, selon une journaliste de l'AFP sur place.
"Où est la justice pour nos enfants?", ont crié certains membres des familles, tandis que d'autres scandaient: "Fidèles au sang des martyrs!".
"C'est une mascarade. Nous ne sommes pas venus pour de belles paroles, nous sommes venus pour qu'au moins on rende hommage symboliquement aux personnes que nous avons perdues!", a dit à l'AFP le mari de Mahjouba Nasri, une Tunisienne tuée dans les jours suivant la fuite en Arabie saoudite du président de l'époque Zine El Abidine Ben Ali.
M. Caïd Essebsi, visiblement irrité par le brouhaha, a tenté de continuer à remettre les décorations, dont l'une à titre posthume à l'élu Mohamed Brahmi, assassiné le 25 juillet 2013.
"Si les martyrs étaient encore vivants, ils ne seraient pas d'accord avec vous", a-t-il d'abord lancé aux membres des familles invités au Palais de Carthage.
"Tous les martyrs sont dans nos esprits et seront décorés. Ce que vous faites n'est donc pas nécessaire. Allez, que Dieu vous vienne en aide", a-t-il ajouté quelques minutes plus tard, avant de tourner les talons.
L'incident est le signe que ce douloureux dossier n'a toujours pas été clos.
Selon un bilan officiel, la répression du soulèvement populaire qui a renversé Zine El Abidine Ben Ali a fait plus de 300 morts et des centaines de blessés pendant la révolution (17 décembre 2010 - 14 janvier 2011) mais aussi dans les jours ayant suivi la fuite du dictateur.
"Les efforts de la Tunisie pour faire rendre des comptes en justice aux auteurs d'exécutions extrajudiciaires, pendant le soulèvement populaire il y a quatre ans, ont été anéantis par des problèmes juridiques ou liés à la procédure d'enquête et n'ont pas permis de rendre justice aux victimes", a affirmé l'ONG Human Rights Watch (HRW) lundi.
"À l'exception de la peine de prison à perpétuité prononcée par contumace à l'encontre de (...) Ben Ali, le long processus qui s'est déroulé devant des tribunaux militaires n'a produit que des verdicts cléments, voire des acquittements, pour les personnes qui étaient accusées d'avoir causé la mort de manifestants", a-t-elle ajouté.
Des dizaines de membres des familles ont également défilé sur l'avenue Habib Bourguiba, haut lieu de la révolution dans le centre-ville, où plusieurs centaines de personnes ont manifesté en ordre dispersé sous très haute sécurité.
L'avenue ainsi que des rues adjacentes ont ainsi été fermées aux voitures, tandis que de nombreux policiers montaient la garde.
Le parti islamiste Ennahda, deuxième force politique du pays derrière le parti Nidaa Tounès de M. Caïd Essebsi, a installé une tribune et un écran géant au milieu de l'avenue et célébrait l'anniversaire de la révolution par des chants et des discours.
Plus haut, ce sont des dizaines de partisans des islamistes radicaux de Hizb ut Tahrir qui manifestaient, aux côtés d'un petit groupe de jeunes socialistes.
Devant le théâtre municipal, une vingtaine de personnes se sont rassemblées en silence, le visage fermé, pour Sofiène Chourabi et Nadhir Ktari, deux journalistes tunisiens disparus en Libye qu'une branche du groupe Etat islamique (EI) affirme avoir exécutés, une annonce qui n'a pas été confirmée de source officielle.
Eparpillés sur l'avenue, d'autres petits groupes de manifestants ont aussi réclamé la libération du blogueur Yassine Ayari, condamné pour atteinte à l'armée, ou des emplois pour les "diplômés chômeurs", tandis qu'une quinzaine de jeunes ont dénoncé la publication par l'hebdomadaire français Charlie Hebdo d'une nouvelle caricature de Muhammad -sws- en brandissant des bannières proclamant: "Je ne suis pas Charlie, je suis Mohamed".
(14-01-2015 - Avec les agences de presse)
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