Un tribunal militaire tunisien a condamné mercredi l’ex président Ben
Ali à perpétuité pour son rôle dans la sanglante répression à Thala et
Kasserine en janvier 2011, mais accordé des non-lieux à d’ex piliers du
ministère de l’Intérieur, provoquant la colère des familles des
victimes.
Le verdict de cette affaire extrêmement sensible, jugée depuis six
mois devant le tribunal militaire du Kef (ouest) était attendu depuis
des semaines et intervient dans un contexte extrêmement tendu en
Tunisie, où huit régions sont sous couvre-feu après une flambée de
violences lundi et mardi.
La peine capitale avait été requise le 23 mai contre le président
déchu, réfugié en Arabie Saoudite et poursuivi avec 22 anciens
responsables de son régime pour la mort de 22 personnes, tuées entre le 8
et le 12 janvier 2011 au plus fort de la répression du soulèvement
populaire qui a fait tomber Ben Ali.
Des peines de prison allant de 8 à 15 ans de prison ont été
prononcées contre d’autres accusés, poursuivis pour homicides
volontaires ou complicité. Mais le tribunal a aussi prononcé dix
non-lieux, au désespoir des familles de victimes présentes à l’audience.
"Vengeance ! vengeance !" ont crié les familles, contraignant le
président du tribunal à interrompre le prononcé de son jugement, a
raconté à l’AFP Me Abdelkarim Maghouri, un avocat présent à l’audience.
"Le juge aurait dû prononcer la peine de mort pour tous les
accusés !" a réagi pour sa part Wasfi Seihi, le cousin de Wajdi, un
jeune tué à Thala.
"Je crains que ce jugement ne crée des troubles", a déclaré à l’AFP
Me Anouar el-Bassi, l’un des avocats des familles, soulignant que "deux
anciens piliers des forces de l’ordre", particulièrement honnis par les
familles des victimes, avaient bénéficié de non-lieux.
Il s’agit de Moncef Krifa, ex directeur général du ministère de
l’Intérieur, principal outil de répression du régime Ben Ali, et de
Moncef Laajimi, ex patron des BOP (brigades anti-émeutes).
Ces prévenus ont comparu libres pendant le procès, au grand dam des
familles qui les ont accusés d’être directement à l’origine des tirs
meurtriers. En outre, Moncef Laajimi est resté à son poste un an après
la révolution. Lorsque le ministre de l’Intérieur Ali Larayedh a tenté
de l’évincer en janvier dernier, il a dû affronter la colère des
policiers et Laajimi a simplement été muté.
"Quel magistrat pouvait se mesurer à un homme qui a 3 ou 4000
policiers derrière lui ?", s’est interrogé Me El-Bassi, reprenant la
critique récurrente selon laquelle la justice militaire n’avait pas les
coudées franches face aux pressions de la redoutable machine policière
encore en place malgré la révolution.
Comme en réponse à ces critiques, le juge du tribunal du Kef, Chokri
Mejri —un civil—, a assuré avant de prononcer son verdict : "nous avons
essayé de prononcer un jugement juste, et nous n’avons reçu aucune
pression d’aucune institution. Dieu et notre intime conviction ont été
nos seuls guides".
Sans convaincre les familles et leurs avocats, qui estiment avoir été privés de la vérité historique.
"Nous ne voulons pas de pitié. J’ai consacré tout mon temps depuis un
an et demi à la recherche de la vérité et aujourd’hui il y a toujours
des questions qui me brûlent et qui sont sans réponse", confiait
récemment à l’AFP Helmi Chniti, le frère de Ghassen, tué le 8 janvier à
Thala.
Tout au long du procès, aucun des prévenus n’a reconnu avoir donné
l’ordre de tirer sur les manifestants. Chacun a renvoyé la
responsabilité à une "cellule sécuritaire de suivi" ou à "la salle
d’opération" du ministère de l’Intérieur, sans jamais mentionner de
noms.
Dans une autre affaire jugée mercredi à l’aube, le tribunal militaire
de Tunis a condamné Ben Ali par contumace à 20 ans de prison pour
"incitation au désordre, meurtres et pillages sur le territoire
tunisien". Ce dossier concernait la mort de quatre jeunes tués par
balles à Ouardanine (est) à la mi-janvier, lors du chaos qui a suivi la
fuite du président tunisien en Arabie Saoudite.
(13 juin 2012 - Assawra avec les agences de presse)
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