Le Parlement égyptien dominé par les islamistes a été dissout en
application de la décision de justice le déclarant illégal en raison
d’un vice juridique dans la loi électorale, a annoncé samedi l’agence
officielle Mena. Le chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA), le
maréchal Hussein Tantawi, au pouvoir en Egypte, a formellement
signifié par écrit samedi la décision de justice au Parlement dans une
lettre, selon l’agence, et annoncé au Parlement qu’il "le considère
dissout depuis vendredi".
**
L’Égypte à deux doigts du coup d’État militaire
Se souviendra-t-on de la journée du 14 juin 2012 comme de celle d’un
coup d’État en Égypte ? En deux étapes, précisément. La première,
institutionnelle, la seconde, militaire. La décision de la Cour
constitutionnelle égyptienne a surpris jusqu’aux si flegmatiques Frères
musulmans, qui ont réagi dans la soirée en bombardant la presse de
communiqués pour rappeler qu’ils se tenaient aux côtés de la révolution.
Motif : l’invalidation du tiers des sièges de la première Assemblée
législative démocratiquement élue en Égypte. Cette décision a coupé le
souffle des forces révolutionnaires.
En revanche, Ahmed Chafiq reste candidat aux présidentielles. Qualifié
pour le second tour, il a bien failli ne pas concourir. Une loi
d’"isolation politique" devait mettre à l’écart les cadres de l’ère
Moubarak. Tous ceux qui avaient servi ces dix dernières années sous les
ordres de l’ancien raïs ne pouvaient concourir aux élections. C’était le
cas d’Ahmed Chafiq. Il a été Premier ministre au plus fort des
répressions des manifestations, du 31 janvier au 3 février 2011. Il a en
plus été ministre de l’Aviation civile de 2002 à 2011. Largement de
quoi l’écarter, a priori. Ce qui a d’abord été le cas. La Commission des
élections présidentielles l’a mis hors course, avant, finalement, d’en
référer à la Cour constitutionnelle - et celle-ci a considéré, hier, que
cette loi était anticonstitutionnelle.
Il paraissait difficile d’éliminer un candidat qui a réuni plus de 23 %
des suffrages au premier tour. Mais les juges suprêmes n’étaient pas à
ça près. La Cour constitutionnelle réalise six mois après le résultat
des élections, unanimement reconnues comme un succès démocratique, qu’un
grand nombre d’élus de l’Assemblée étaient candidats, non encartés,
mais ayant reçu l’appui d’un parti. Ils ont jugé qu’ils étaient
défavorisés par rapport aux candidats indépendants. Une décision qui
provoque la colère des activistes.
Les premières victimes de ce jugement, ce sont les députés islamistes.
Le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), la formation politique
des Frères musulmans, perd dans l’aventure 100 sièges d’un coup.
C’est ici qu’il faut s’intéresser à un personnage, Farouk Sultan. Chef
de la Commission des élections présidentielles, c’est lui qui sort Ahmed
Chafiq de la course à la présidence, mais le renvoie devant la Cour
constitutionnelle. Une Cour constitutionnelle dont il est aussi le
président, qui sauve Chafiq et balaie un tiers des députés de
l’Assemblée du peuple.
Farouk Sultan apparaît comme un fidèle de l’ère Moubarak. Il était plus
connu pour son parcours au sein des tribunaux militaires et de la
sécurité d’État que pour ses talents en tant qu’expert en droit public.
Mais à la surprise générale, il a été nommé par Moubarak président de la
Cour constitutionnelle en juillet 2009. Les juges étaient perçus comme
un peu trop remuants au goût du pouvoir et Farouk Sultan était le
candidat idéal pour les encadrer de près et, surtout, préparer les
élections présidentielles de 2011, celles qui devaient se tenir sous le
régime de l’ancien raïs et consacrer, une fois de plus, par un score
imparable, la toute-puissance de Moubarak. Ces élections ne se sont
jamais tenues - le pharaon est tombé avant.
Mais pourquoi se contenter de mettre hors-jeu le tiers de l’Assemblée du
peuple ? C’est la seconde étape du coup de force - dont on ne sait pas
encore s’il sera un coup d’État. Le chef d’orchestre, ici, c’est le
Conseil suprême des forces armées, le CSFA, composé de généraux sous la
houlette de Hussein Tantawi. Il assure l’intérim du pouvoir depuis le
départ de Moubarak. Le CSFA exerce donc le pouvoir exécutif. Avec les
juges suprêmes, ils s’assurent le pouvoir judiciaire, au moins au niveau
constitutionnel. Et suite à la décision de la Cour, les généraux ont
sous-entendu qu’ils exerceraient le pouvoir législatif en attendant la
formation d’une nouvelle assemblée. Les trois pouvoirs concentrés au
sein d’une même autorité. Montesquieu grincerait des dents.
Ce n’est pas fini. Un difficile compromis a été trouvé au bout de
plusieurs mois pour la mise en place d’une Assemblée constituante. Le
combat s’est tenu entre les militaires et les islamistes pour se mettre
d’accord sur la répartition des sièges au sein de cette constituante. Le
7 juin, l’accord est trouvé. Or, hier, une source militaire a déclaré
que c’était le Conseil suprême des forces armées qui allait rédiger la
Constitution.
C’est peut-être pour fêter ça que, le matin du 14 juin, un convoi de
militaires et de policiers a défilé toutes armes et tous klaxons dehors
sur la corniche à Alexandrie. Une démonstration de force, après un coup
de force. À la veille du second tour des élections présidentielles, la
tension s’ajoute à l’incertitude en Égypte.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire