L’Irak, désireux de solder le lourd héritage laissé par Saddam
Hussein, fait face à un immense besoin de spécialistes pour mener le
formidable labeur d’excavation et d’identification d’au moins un
demi-million de disparus gisant aujourd’hui dans des charniers.
L’enjeu est de taille pour ce pays en quête de réconciliation avec
lui-même, où d’innombrables familles ont perdu toute trace de proches
sous la dictature (1979-2003) ou dans les années de terribles violences
qui ont suivi.
Nombre d’entre elles ne peuvent faire leur deuil faute d’avoir
retrouvé les corps et appris la vérité sur les circonstances de leur
mort.
Mais ce travail de longue haleine, qui pourrait prendre des décennies
du fait de son ampleur et des difficultés du terrain (mines,
munitions...), exige une main d’oeuvre hautement qualifiée, tant pour
l’excavation que pour la partie médico-légale. Jusqu’à récemment, elle
n’existait pas en Irak.
L’ICMP (International Commission on Missing Persons), une
organisation née à l’initiative de l’ancien président Bill Clinton et
financée par les pays occidentaux, organise depuis 2008 des stages de
formation destinés aux employés de l’Institut médico-légal et du
ministère des Droits de l’Homme.
Les cours, dispensés à Erbil (nord), comprennent des simulations avec
des squelettes en plastique enfouis dans le jardin de la résidence
hospitalière où se déroule le stage.
"Nous essayons de rendre le scénario aussi réaliste que possible",
explique James Fenn, coordinateur du programme, en désignant la
vingtaine de stagiaires en combinaison bleue qui creusent avec soin le
sol.
On voit progressivement apparaître les contours d’une dizaine de
corps. Certains ont les mains et les pieds liés, ou portent des traces
de traumatismes.
Ce faisant, l’équipe procède à de minutieux relevés sur la
disposition de la tombe, croquis sur papier millimétré, photos, listes
des os et des indices découverts, qui doivent être remis à la justice.
L’approche se veut scientifique et rigoureuse.
"Nous avons appris à manier la truelle et à creuser sans utiliser des
machines comme des bulldozers car cela provoque des dégâts et on risque
d’effacer beaucoup de preuves", explique l’un des stagiaires, Salah
Hussein, qui a le titre de chef de site.
L’un de ses collègues, Thamer Hassan, a un frère porté disparu depuis
1987. "Il est peut-être dans l’un des charniers", soupire-t-il. Malgré
cela, sa vocation à faire ce travail relève surtout du "devoir" en tant
qu’employé du ministère des Droits de l’Homme, explique-t-il.
Une fois exhumés, les squelettes sont remis à l’autre équipe, issue
de l’Institut médico-légal de Bagdad, qui est chargée de leur examen.
Les stagiaires examinent les os étalés sur une table, tentent de
deviner à combien de personnes ils appartiennent, leur âge et leur sexe,
et répertorient le tout avec soin pour une hypothétique enquête.
Pour Dr Dounia Abbud, dentiste de 26 ans, "ce stage est très utile,
car cela aide à rendre justice. Beaucoup de familles viennent (à
l’Institut) pour essayer de trouver leurs proches. Nous essayons de les
réconforter", souligne-t-elle.
Quelque 170 personnes ont déjà été formées depuis 2008 mais les
besoins sont énormes, souligne Johnathan McCaskill, chef des programmes
de l’ICMP pour l’Irak.
Le gouvernement travaille sur une hypothèse de 500.000 disparus, mais
certaines estimations vont jusqu’à plus d’un million, résultat de la
répression, notamment des populations kurdes et chiites dans les années
80 et 90, et de conflits armés entre l’Irak et ses voisins.
"On nous a dit qu’il existe au moins 270 fosses communes dans le
pays", indique-t-il. "La plupart remontent à l’ancien régime, mais ça ne
veut pas dire qu’il n’y en a pas datant d’après". "Il est évident que
les violences confessionnelles (qui ont fait des dizaines de milliers de
morts en 2006-2007, ndlr) ont aussi laissé beaucoup de charniers",
dit-il.
"Souvenez-vous, dès la chute de Saddam, les gens ont commencé à
creuser eux-mêmes" en quête de leurs proches, rappelle Jonathan McCaskill. Ces
pratiques, désormais interdites par la loi, ont provoqué beaucoup de
confusion et des ratages dramatiques dans l’identification des corps,
souligne-t-il.
L’ICMP travaille aussi avec le gouvernement irakien à un programme
d’identification par ADN, technique beaucoup plus fiable mais complexe
et coûteuse. Pour l’heure, les échantillons devront être analysés à
Sarajevo, siège de l’ICMP, explique-t-il.
En attendant, les formations vont se poursuivre au moins deux ans.
Mais un stage suffit-il pour se préparer à une réalité aussi
dérangeante ? Thamer Hassan le pense : "Je suis prêt à travailler dans
de vrais charniers", affirme-t-il.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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