La fin de la récréation a sonné. Critiqué pour son activisme effréné sur
la scène internationale, marqué par un soutien tous azimuts aux
mouvements islamistes modérés au cours du "Printemps arabe", le Qatar
rentre dans le rang. Ce minuscule mais richissime émirat du Golfe (pas
plus grand que la Corse, mais disposant des troisièmes réserves
mondiales de gaz naturel) accueille à partir de mardi le sommet annuel
du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite,
Bahreïn, Émirats arabes unis, Oman, Qatar et Koweït). Une réunion qui a
pourtant failli ne jamais voir le jour, cette organisation régionale
créée en 1981 pour contrer la Révolution islamique iranienne ayant
failli imploser au cours de l'année.
Fait rarissime, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn
ont rappelé le 6 mars dernier leurs ambassadeurs au Qatar, dénonçant les ingérences de l'émirat dans leurs affaires intérieures.
Autrement dit, le soutien politique, médiatique et financier de Doha
aux Frères musulmans, que les trois pays considèrent comme une menace
directe à leurs précieux intérêts. C'est que la confrérie va tout
d'abord se révéler comme la principale bénéficiaire des soulèvements
arabes, avec l'aide bienveillante du richissime émirat.
Ainsi, le Qatar va soutenir les Frères musulmans en Tunisie (le parti
Ennahda, vainqueur des premières élections post-Ben Ali en 2012), en
Égypte (le Parti de la liberté et de la justice, vainqueur des
législatives de 2012) et en Syrie (la Coalition nationale syrienne,
principal organe de l'opposition, où les islamistes sont majoritaires),
mais aussi la rébellion islamiste armée. "Le Qatar considère les Frères
musulmans comme la principale organisation populaire dans le monde arabe
qui bénéficie du soutien des peuples", analyse Nabil Ennasri*, doctorant spécialiste du Qatar à l'université d'Aix-en-Provence. Un soutien tout d'abord pragmatique, qui va permettre à la minuscule presqu'île de s'affirmer sur la scène internationale.
Pour diffuser ses idées, le Qatar possède une arme redoutable : Al
Jazeera. Créée en 1996, la première chaîne d'information continue en
langue arabe se démarque du reste du paysage audiovisuel en offrant la
parole à de nombreux dissidents politiques du Golfe, notamment l'imam
controversé Youssef al-Qaradawi, maître à penser des Frères musulmans
réfugié au Qatar depuis 1970. Problème, cet avant-gardisme démocratique
affiché contraste fermement avec le rigorisme politique et religieux
(wahhabisme) en vigueur au sein de l'émirat, qui n'a connu aucune
élection dans son histoire et qui interdit toujours les partis
politiques.
"La connivence idéologique est nette entre une partie de l'appareil
d'État qatari et la vision de la religion défendue par la confrérie",
pointe ainsi le spécialiste Nabil Ennasri. Toutefois, avec ses 278 000
citoyens, qui possèdent avec 102 100 dollars par habitant le PIB le plus
élevé au monde, la monarchie qatarie n'est pour l'heure pas en danger.
Ce n'est pas le cas de l'Arabie saoudite et ses 21 millions de
nationaux, dont les octogénaires au pouvoir sont effrayés par cet "islam
politique" promu par la diplomatie qatarie, plus modéré que le
wahhabisme (islam rigoriste) saoudien, interdisant la participation à la
vie politique.
Ainsi le royaume saoud a-t-il sifflé la fin de la récréation en juin
2013 en lançant sa "contre-révolution"en Égypte. À coup de pétrodollars,
Riyad a financé le retour au pouvoir de l'armée égyptienne qui a
renversé le président islamiste Mohamed Morsi. Au même moment, l'émir du
Qatar cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, 61 ans et grand artisan du rayonnement de l'émirat dans le monde, abdique au profit de son fils Tamim, à la diplomatie moins tapageuse. Une page s'est tournée au pays du gaz.
Sous la pression du grand-frère saoudien, le jeune émir consent un an
plus tard à réclamer le départ du Qatar de sept responsables des Frères
musulmans, dont Mahmoud Hussein, le secrétaire général de la confrérie.
Car, entre-temps, une nouvelle menace - l'"organisation État islamique" -
a fait son apparition au Moyen-Orient, forçant les pays du Golfe à
mettre de côté leurs divergences. Un temps menacé de désintégration, le
Conseil de coopération du Golfe renaît de ses cendres.
"La présence d'un ennemi commun a permis de mettre de côté les divisions
secondaires au profit d'un objectif unitaire qui est de lutter contre
une organisation terroriste qui ne cache pas sa volonté de mettre à bas
les régimes de la région", souligne Nabil Ennasri. Face aux djihadistes,
qui considèrent les pétromonarchies du Golfe comme des "régimes
corrompus à la solde de l'Occident", et grâce à la médiation du Koweït,
l'Arabie saoudite et le Qatar n'ont eu d'autre choix que d'enterrer la
hache de guerre, ce qui s'est concrétisé par le retour des ambassadeurs à
Doha en novembre.
Preuve de cette réconciliation, le baiser du jeune émir Tamim al-Thani
au visage du vieillissant monarque saoudien, le roi Abdallah, âgé de 90
ans. Mais les apparences sont trompeuses et les divergences restent
profondes. Tandis que l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis
honnissent les soulèvements arabes et ont juré la perte des Frères
musulmans, qu'ils considèrent comme une "organisation terroriste", le
Qatar continue pour sa part de saluer les révoltes populaires, jugeant
au contraire nécessaire de "contenir la mouvance islamiste" pour mieux
la canaliser. "Nous sommes "davantage dans une détente en trompe-l'oeil
que dans un réel mouvement de dégel des relations", estime ainsi Nabil
Ennasri. "Car les fondamentaux de la guerre froide du Golfe entre Riyad et Doha demeurent."
(09-12-2014 - Armin Arefi)
(*) Nabil Ennasri, auteur de L'Énigme du Qatar (éditions Iris).
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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