Le mois dernier, la Suisse présidait à Genève la
troisième édition du Forum arabe sur le recouvrement des avoirs. Didier
Burkhalter, le président de la Confédération, déclarait que "la question
de la restitution des valeurs patrimoniales que d'anciens dirigeants
corrompus ont accumulées aux dépens de la population de leur pays joue
un rôle de premier plan dans les relations entre Etats ". Didier
Burkhalter, qui est également le ministre des Affaires étrangères,
ajoutait : "La restitution des fonds illicites renforce la crédibilité
et la réputation de la place financière suisse".
Il n'a apparemment pas été entendu par les magistrats du Tribunal pénal
fédéral (TPF), la plus haute instance judiciaire du pays. Ces derniers
viennent d'annuler la décision du Ministère public de restituer au
gouvernement tunisien 35 millions de francs suisses (29 millions
d'euros), saisis sur les comptes de Belhassen Trabelsi, le beau-frère de
l'ancien président Zine el-Abidine Ben Ali. Quatre années après que
Mohammed Bouazizi se soit immolé par le feu, Berne n'a toujours pas
rendu le plus petit billet de banque à Tunis.
Motif de cette décision ? "Le Ministère public fédéral a violé le droit
être entendu de Belhassen Trabelsi en n'examinant pas ses explications
et documents quant à l'origine de ses avoirs", affirme dans La Tribune
de Genève Jean-Marc Carnicé, bâtonnier de l'ordre des avocats de Genève
et défenseur de l'homme d'affaires tunisien. Dans ce dossier, Michael
Lauber, le procureur général de la Confédération, a pourtant joué le
tout pour le tout afin que la Tunisie obtienne satisfaction. En effet,
il a estimé que ce n'était pas à la justice de prouver que l'argent de
Trabelsi avait été malhonnêtement gagné, mais à Trabelsi de démontrer
que ses fonds étaient licites !
En clair, le parquet général considère qu'il a suffisamment de preuves
pour prouver que le régime de Ben Ali est une organisation criminelle
"ayant pour objectif de détourner des fonds publics ou de pratiquer la
corruption à large échelle". Toujours selon le parquet général,
Belhassen Trabelsi, frère de Leïla, seconde épouse de Ben Ali, profitait
largement de cette organisation criminelle. Réponse de Jean-Marc
Carnicé, l'avocat de Trabelsi dans le quotidien Le Temps : "Mon client
est présumé innocent. Il appartient, en conséquence, au Ministère public
de prouver l'existence d'une organisation criminelle et la
participation de mon mandant à cette dernière, ce qui est
catégoriquement contesté".
Le Tribunal pénal fédéral n'a donc pas hésité à infliger un sanglant
désaveu au procureur général de la Confédération. Il n'est pas certain
que la Tunisie apprécie les subtilités de la justice suisse. De passage
en Suisse en mai 2012, le président Moncef Marzouki avait déjà demandé
que la Confédération rende "aussi vite que possible" l'argent à la
Tunisie. Constatant que seulement 60 millions de francs suisses (50
millions d'euros) avaient été bloqués dans les banques suisses, il
affirmait que cela n'était "que la partie visible de l'iceberg", et ne
représentait pas plus de 10 % des fonds réellement déposés.
Malheureusement, Tunis va devoir s'armer de patience. Des fonds de
Jean-Claude Duvalier, l'ancien tyran d'Haïti, ont été bloqués en Suisse
en 1986, au moment de sa chute. Bébé Doc est décédé en octobre dernier.
L'argent n'a toujours pas été rendu à Port-au-Prince... Moralité ?
Aucune.
(17-12-2014 - Ian Hamel)
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