jeudi 18 décembre 2014

Tunisie : l'argent du clan Ben Ali peut encore dormir tranquille en Suisse (Ian Hamel)

Le mois dernier, la Suisse présidait à Genève la troisième édition du Forum arabe sur le recouvrement des avoirs. Didier Burkhalter, le président de la Confédération, déclarait que "la question de la restitution des valeurs patrimoniales que d'anciens dirigeants corrompus ont accumulées aux dépens de la population de leur pays joue un rôle de premier plan dans les relations entre Etats ". Didier Burkhalter, qui est également le ministre des Affaires étrangères, ajoutait : "La restitution des fonds illicites renforce la crédibilité et la réputation de la place financière suisse".
Il n'a apparemment pas été entendu par les magistrats du Tribunal pénal fédéral (TPF), la plus haute instance judiciaire du pays. Ces derniers viennent d'annuler la décision du Ministère public de restituer au gouvernement tunisien 35 millions de francs suisses (29 millions d'euros), saisis sur les comptes de Belhassen Trabelsi, le beau-frère de l'ancien président Zine el-Abidine Ben Ali. Quatre années après que Mohammed Bouazizi se soit immolé par le feu, Berne n'a toujours pas rendu le plus petit billet de banque à Tunis.
Motif de cette décision ? "Le Ministère public fédéral a violé le droit être entendu de Belhassen Trabelsi en n'examinant pas ses explications et documents quant à l'origine de ses avoirs", affirme dans La Tribune de Genève Jean-Marc Carnicé, bâtonnier de l'ordre des avocats de Genève et défenseur de l'homme d'affaires tunisien. Dans ce dossier, Michael Lauber, le procureur général de la Confédération, a pourtant joué le tout pour le tout afin que la Tunisie obtienne satisfaction. En effet, il a estimé que ce n'était pas à la justice de prouver que l'argent de Trabelsi avait été malhonnêtement gagné, mais à Trabelsi de démontrer que ses fonds étaient licites !
En clair, le parquet général considère qu'il a suffisamment de preuves pour prouver que le régime de Ben Ali est une organisation criminelle "ayant pour objectif de détourner des fonds publics ou de pratiquer la corruption à large échelle". Toujours selon le parquet général, Belhassen Trabelsi, frère de Leïla, seconde épouse de Ben Ali, profitait largement de cette organisation criminelle. Réponse de Jean-Marc Carnicé, l'avocat de Trabelsi dans le quotidien Le Temps : "Mon client est présumé innocent. Il appartient, en conséquence, au Ministère public de prouver l'existence d'une organisation criminelle et la participation de mon mandant à cette dernière, ce qui est catégoriquement contesté".
Le Tribunal pénal fédéral n'a donc pas hésité à infliger un sanglant désaveu au procureur général de la Confédération. Il n'est pas certain que la Tunisie apprécie les subtilités de la justice suisse. De passage en Suisse en mai 2012, le président Moncef Marzouki avait déjà demandé que la Confédération rende "aussi vite que possible" l'argent à la Tunisie. Constatant que seulement 60 millions de francs suisses (50 millions d'euros) avaient été bloqués dans les banques suisses, il affirmait que cela n'était "que la partie visible de l'iceberg", et ne représentait pas plus de 10 % des fonds réellement déposés.
Malheureusement, Tunis va devoir s'armer de patience. Des fonds de Jean-Claude Duvalier, l'ancien tyran d'Haïti, ont été bloqués en Suisse en 1986, au moment de sa chute. Bébé Doc est décédé en octobre dernier. L'argent n'a toujours pas été rendu à Port-au-Prince... Moralité ? Aucune.


(17-12-2014 - Ian Hamel)

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