Qui a déjà entendu parler du Printemps de la Perle ? Le 14 février 2011, des milliers de citoyens bahreïniens se sont rassemblés sur cette place de la capitale Manama. De confession chiite, comme 65 % de la population de ce minuscule royaume de 550 000 nationaux, les manifestants exigent du pouvoir sunnite des élections libres et la fin des discriminations à leur égard. "Il régnait, lors des manifestations, une atmosphère pacifique de carnaval", se souvient Said Boumedouha, chercheur spécialiste de Bahreïn à Amnesty International, présent à l’époque sur la place de la Perle.
Mais la dynastie sunnite al-Khalifa, installée au pouvoir depuis deux cents ans par les Britanniques pour contrer la menace iranienne, a très mal accueilli cette poussée revendicatrice chiite. Et c’est à son mentor, l’Arabie saoudite sunnite, qu’elle a fait appel pour étouffer toute contestation. Le 14 mars, 1 000 soldats saoudiens et 500 Émiratis sont expédiés dans le royaume, sous l’égide du Conseil de coopération du Golfe. La répression est sévère. Trente-cinq manifestants sont tués. Des centaines arrêtés. Selon Amnesty International, le bilan s’élèverait au moins à 55 morts.
Un an plus tard, le monument symbole de la Perle n’est plus. Il a été détruit par les autorités bahreïniennes, et remplacé par des dizaines de chars qui assiègent littéralement la place. Quant aux manifestants qui marquaient l’anniversaire de la révolte, ils ont été violemment réprimés mardi par les forces antiémeute. Cela fait un an que les médias occidentaux, mais aussi arabes, ignorent la révolution de la Perle. Comme un symbole, la chaîne d’information Al Jazeera, véritable locomotive du Printemps arabe en Tunisie, en Égypte ou en Syrie, est restée silencieuse sur le cas de sa voisine bahreïnienne.
"L’appartenance au chiisme est plutôt mal perçue dans le monde arabe sunnite", explique Jean-Paul Burdy*, professeur d’histoire à l’Institut d’études politiques de Grenoble. "Derrière les chiites de Bahrein, on sous-entend qu’il y a l’Iran, l’Irak et le Hezbollah. Cela explique la faible couverture des événements à Bahreïn dans le monde arabe, mais aussi dans la presse occidentale, en raison des tensions avec l’Iran sur son programme nucléaire et dans le Golfe", ajoute le spécialiste du Moyen-Orient.
L’argument du complot ourdi par Téhéran est sans cesse répété par les autorités de Manama. Lundi encore, le roi Hamad al-Khalifa a de nouveau accusé "certaines parties" en Iran de vouloir "porter atteinte à la sécurité et à la stabilité" de Bahreïn, justifiant ainsi le recours aux troupes saoudiennes. Fait sans précédent dans le Printemps arabe, le souverain avait pourtant mis sur pied une commission d’enquête internationale indépendante. Le rapport qui en découle est formel. S’il dénonce un "usage excessif et injustifié de la force" côté régime, il affirme n’avoir "aucune preuve formelle de l’implication de la République islamique d’Iran".
"Ni chiite, ni sunnite, juste bahreïnien", scandaient l’année dernière les manifestants, place de la Perle. Par ce slogan, les opposants chiites, également accompagnés de nationalistes laïques sunnites, réaffirmaient leur souci d’éviter d’entrer dans le piège confessionnel tendu par les autorités.
Une situation qui n’est pas sans rappeler le cas syrien, où le régime alawite ne cesse de brandir le spectre d’une guerre confessionnelle fomentée par l’étranger. Pourtant, de retour de Manama, Jean-Paul Burdy assure que les seules preuves d’une implication étrangère qu’il ait vues sont la présence des troupes saoudiennes à 100 mètres de la place de la Perle, ou alors le nombre important de portraits du roi saoudien Abdallah dans la capitale. Autre réalité du terrain relevée par le spécialiste, la radicalisation du mouvement de contestation.
Si l’opposition, tout d’abord coordonnée autour du principal parti d’obédience chiite, Al Wefaq, se cantonnait en février dernier à réclamer une monarchie constitutionnelle, elle répondrait désormais aux appels de groupes beaucoup plus radicaux. "À bas, Hamad !" est maintenant crié chaque jour par des manifestants repliés dans les villages périphériques de la capitale. "On assiste à un retour à l’Intifada (conflit ouvert, NDLR) chiite des années 90, contre l’émir Isa", note Jean-Paul Burdy. L’archipel est quadrillé. La situation complètement bloquée." Une affirmation qui contredit les déclarations officielles du gouvernement, qui assure aux investisseurs que le pays continue à fonctionner. Peine perdue, la bourgeoisie sunnite a déjà commencé le transfert de ses capitaux à Dubai, et le prochain Grand Prix de Formule 1 de Bahreïn, déjà annulé en mars dernier, est plus que menacé.
Car, derrière la gestion de la crise, se cache une lutte fratricide. Conscient de l’impasse politique que traverse le pays, le roi Hamad, au pouvoir depuis dix ans, tente de multiplier les concessions vis-à-vis de l’opposition. En vain, tous ses efforts sont sabotés par son oncle, le Premier ministre Cheikh Khalifa, véritable chef de l’État depuis près de cinquante ans et qui en contrôle l’appareil sécuritaire. Il faut dire qu’il bénéficie d’un allié de poids, en la personne du roi Abdallah d’Arabie saoudite. "Riyad éprouve une double hantise pour les manifestants bahreïniens", insiste Jean-Paul Burdy. "Celle de la démocratie à ses portes, et celle de l’agitation chiite qu’il lie à Téhéran."
Depuis mars 2011, la région orientale et riche en pétrole du royaume de Saoud est secouée par un soulèvement de sa minorité chiite, qui se plaint de discriminations sociales par rapport à la majorité sunnite. Un vent de révolte démocratique intolérable pour Riyad. Vendredi dernier, les forces de sécurité saoudiennes ont tiré sur les manifestants, faisant un mort et des dizaines de blessés.
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Affrontements dans les villages chiites
Des heurts nocturnes ont opposé des manifestants aux forces de sécurité dans les villages chiites entourant Manama, après une journée de mobilisation pour le premier anniversaire du soulèvement contre la monarchie sunnite à Bahreïn, ont indiqué mercredi des témoins.
Les affrontements se sont poursuivis jusqu’à l’aube mercredi, et les forces de sécurité ont eu recours aux tirs de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc dans ces villages, selon les témoins. Plusieurs manifestants ont été blessés, ont-ils ajouté. Il n’a pas été possible de confirmer un bilan de blessés de source médicale, les blessés légers dans les affrontements évitant de se rendre à l’hôpital de peur d’être arrêtés, selon des militants.
Mardi, les forces antiémeute avaient violemment réprimé des manifestants chiites qui avaient tenté de s’approcher de la place de la Perle à Manama, symbole du mouvement de la contestation pour marquer l’anniversaire du déclenchement du soulèvement. Selon le mouvement al-Wefaq, principal groupe de l’opposition chiite, les autorités ont interpellé mardi près de 150 personnes, dont certaines ont été relâchées. Elles ont arrêté "des femmes et des enfants âgés de 13 à 16 ans dans la rue et lors de perquisitions de domiciles", a affirmé dans un communiqué al-Wefaq. Nabil Rajab, chef du Centre de Bahreïn pour les droits de l’homme (opposition), a été brièvement détenu alors qu’il prenait la tête d’une manifestation en direction de la place de la Perle, a ajouté le groupe.
Le mouvement de contestation, animé par les chiites majoritaires à Bahreïn, réclame une monarchie constitutionnelle dans ce petit royaume du Golfe dirigé par une dynastie sunnite. La répression du soulèvement qui avait duré de la mi-février à la mi-mars 2011 s’était soldée par 35 morts : 30 civils, dont cinq décédés sous la torture, et cinq policiers. Amnesty International a fait état d’"au moins 20 autres morts" dans les heurts qui se sont poursuivis par intermittence durant l’année écoulée, portant ainsi le bilan à au moins 55 morts en un an.
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