mercredi 22 février 2012

Les défis de la transition politique au Yémen

Son image trône déjà dans toutes les rues du Yémen depuis le 15 février. Jour où l’ancien président Ali Abdallah Saleh a demandé d’enlever ses portraits et de mettre à la place ceux du vice-président Abd Rabbo Mansour Hadi, unique candidat à l’élection présidentielle anticipée du 21 février. Une élection-plébiscite à laquelle les Yéménites ont participé en nombre, mardi. Le processus est toutefois conforme à l’accord de sortie de crise proposé par les pays du Golfe et signé par toutes les parties impliquées dans le soulèvement. Après le départ de l’ancien président Saleh, l’arrivée au pouvoir de M. Hadi constitue une nouvelle étape du processus de transition politique.
Cette étape suscite un certain optimisme chez les différents acteurs locaux et internationaux. Elle met fin à six mois d’une lente désagrégation du pouvoir politique qui a fait craindre que le pays ne bascule à nouveau dans la guerre civile. Pourtant, rien n’est encore joué et la tâche qui attend Abd Rabbo Mansour Hadi est titanesque. Pendant les deux ans que durera son mandat transitoire, l’homme aura à manœuvrer habilement pour relever les nombreux défis qui s’imposent à ce pays miné par des années de guerre civile et une situation socio-économique explosive.
Abd Rabbo Mansour Hadi, toujours resté dans l’ombre du président Ali Abdallah Saleh, est vu comme un homme de consensus, plutôt faible et sans grande ambition politique. Si l’ensemble de la classe politique qui a signé l’accord de transition n’a d’autre choix que d’appeler à son élection, il n’incarne toutefois pas le changement. "M. Hadi est quelqu’un du pouvoir, issu du Congrès général du peuple, le parti de l’ancien président. On reste un peu sur les mêmes lignes même si la tête civique du pouvoir va changer avec cette élection. La page Saleh ne va pas se tourner de façon totale", analyse Dominique Thomas, spécialiste du Yémen et des mouvements islamistes dans la péninsule arabique à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.
La page Saleh sera difficile à tourner, si l’on en juge par la présence à tous les échelons de l’Etat et de l’économie des membres de la famille et du clan de l’ancien président. Le fils Ahmad, qui dirige la garde républicaine, ne cache pas ses ambitions pour la présidentielle de 2014. Mais il devra s’imposer dans le parti fondé par son père en 1982, sur d’autres membres qui pourraient être tentés de tourner la page. En face, le parti islamiste Al-Islah, hégémonique au sein de l’opposition, a toutes ses chances pour concurrencer le CGP aux prochaines élections générales. "Le parti a beaucoup de relais dans le pays, au travers notamment des réseaux caritatifs", note M. Thomas.
S’il veut garder le jeu politique ouvert, "le nouveau président va devoir mener une politique des petits pas, de consensus et de dialogue avec le parti hégémonique et l’opposition", estime Dominique Thomas. "La mise en place d’un gouvernement d’union nationale a remis en selle les mouvements d’opposition, écrasés par le blocage politique imposé par Ali Abdallah Saleh", précise ainsi M. Thomas. Il lui sera particulièrement difficile, dans ce contexte, de mener des réformes, notamment au sein de l’appareil sécuritaire, accaparé par le clan Saleh. "Beaucoup doutent qu’il en aie les capacités, mais il a surpris jusqu’à présent", poursuit-il.
L’élection présidentielle a mis en lumière l’assise des deux principaux mouvements sécessionnistes yéménites ayant appelé au boycottage. Au nord, à quelque 150 km de la capitale Sanaa, la rébellion chiite du mouvement houthi, entrée dans un cycle de violences contre l’Etat depuis 2004, "a profité de la contestation pour installer une République au nord, dans la province de Saada, qui est un quasi-Etat houthi de facto", explique Dominique Thomas.
Ils ont appelé au boycottage de l’élection, dénonçant "un processus de transition imparfait" et réclamant "un système fédéral et une autonomisation". Leur constitution récente en parti politique pourrait amorcer un changement. Leur force de mobilisation est grande face à la frustration de la population locale et le revivalisme religieux.
A Aden et dans les provinces environnantes, le Mouvement sudiste a adopté depuis la guerre civile de 1994 une forme d’action non violente pour promouvoir son projet fédéraliste. Très divisé entre mouvances idéologiques, il est entré dernièrement dans une phase active, bénéficiant d’un soutien populaire qu’alimente un véritable malaise social. "Le Mouvement sudiste est aujourd’hui à la croisée des chemins et pourrait s’orienter vers un militantisme plus actif et militarisé", comme le montrent les attaques contre les bureaux de vote, explique M. Thomas.
Face à ces mouvements sécessionnistes, M. Hadi a initié une politique de dialogue. "Il va falloir entrer dans un cycle de négociations assez long", note Dominique Thomas. Un processus qui pourrait toutefois s’avérer plus utile que l’option militaire privilégiée en vain depuis 1994 et qui comporte le risque intrinsèque de renforcer le désir sécessionniste au sein de la population. Originaire d’Abian, un des bastions du Mouvement sudiste et d’Al-Qaida, "Abd Rabbo Mansour Hadi est quelqu’un qui peut par ses relais négocier des arrangements particuliers", note M. Thomas.
Les djihadistes sont les derniers arrivés sur la scène yéménite en 2009. "Après la restructuration des branches saoudienne et yéménite d’Al-Qaida dans la péninsule arabique et profitant de la déliquescence de l’Etat, ils sont entrés dans une phase active de contrôle du territoire", note Dominique Thomas. Fort de quelques milliers de combattants, ils ont pris le contrôle d’une demi-douzaine de villes et considérablement augmenté leur capacité de mobilisation dans le sud et l’est du pays et au nord de Sanaa. Leur bras social, les Ansar Al-Charia, imposent dans ces villes la loi islamique.
L’Etat yéménite a beaucoup de difficultés à reprendre le contrôle de ces zones, même avec l’aide des tribus. "Il est possible que la solution militaire ne soit pas adaptée, estime M. Thomas, alors que le dialogue entamé par certaines tribus avec Ansar Al-Charia pour libérer la ville de Radah par exemple s’est avéré payant." L’Etat pourrait ainsi négocier la libération des villes et le retour des populations déplacées contre la libération des combattants djihadistes, une gestion partagée des affaires civiles et une application plus stricte de la Charia.
(22 février 2012 - Hélène Sallon)

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