"Si le président de Paris-VIII était venu, il se serait rendu compte combien son interdiction est stupide et malvenue", lance à l’assistance Dominique Chagnollaud, un des pontes du droit constitutionnel en France. Sous les applaudissements de la centaine de personnes, en majorité des étudiants, réunies lundi 27 février à la Bourse du travail de Seine-Saint-Denis, pour un colloque universitaire international intitulé "Israël, un état d’apartheid ?".
Toute la matinée, les présentations se sont succédé sans dérapage. Les faits, les constructions théoriques et le débat d’idées ont pris le pas sur la polémique. Seuls quelques sifflets sont venus ponctuer les interventions, à l’évocation du nom du président de l’université qui est allé jusqu’à fermer le campus pour s’assurer que le colloque ne s’y tienne pas. Organisé par le collectif Palestine Paris 8 dans le cadre de la "semaine contre l’apartheid israélien", ce colloque a bien failli ne jamais avoir lieu.
Après en avoir préalablement autorisé la tenue, Pascal Binczak, le président de l’université, a décidé le 17 février d’annuler le colloque qui devait se tenir dans ses locaux les 27 et 28 février. Au motif du risque de "trouble à l’ordre public". La double visée assumée du colloque – militante et universitaire – avait en effet entraîné une levée de boucliers du Conseil représentatif des institutions juives (CRIF) et du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, qui dénonçaient un "colloque discriminatoire" du fait de la référence à l’apartheid et contestaient la tribune donnée à Omar Barghouti et au mouvement qu’il a fondé en 2005, Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS), visant Israël.
Ces pressions extérieures ont été mal perçues dans le monde académique, un an après la polémique qui avait entouré l’annulation par l’Ecole normale supérieure du débat de Stéphane Hessel sur le Proche-Orient. Le professeur Chagnollaud a ainsi décidé, au dernier moment, de présider une séance en signe de soutien. "Le CRIF est dans une espèce d’aveuglement. Depuis quelques années, il y a une régression, un aveuglement répété, pusillanime", dénonce le constitutionnaliste. Lui-même se dit opposé au boycott des universités israéliennes – prôné par le BDS –, mais il prône, à l’inverse du CRIF, l’ouverture du débat. "Interdire le débat est très contre-productif."
La question de l’apartheid, soutient Julien Salingue, enseignant de sociologie à l’université d’Auvergne et co-organisateur du colloque, "est dans le débat public, national et international. Donc, pourquoi se priverait-on de questionner cette réalité, de la mettre à l’épreuve ?" A l’accusation qu’il leur a été faite de n’avoir invité aucun contradicteur, il s’insurge."Tout dépend de là où l’on met la barre de la contradiction ? Certains des intervenants questionnent la pertinence du concept. Mais, il est vrai que l’on n’a pas invité de défenseur de la politique israélienne. Si l’on organise un colloque sur la Résistance, doit-on obligatoirement inviter des collabos ?", ose-t-il.
M. Salingue, qui ne cache pas son engagement militant pour la Palestine, et son appartenance politique au NPA, assume pleinement le caractère politique du colloque et met quiconque au défi de trouver une pointe d’idéologie dans ses présentations. La portée politique du colloque est d’ailleurs, pour nombre de ses participants, un faux débat. "Oui, c’est un colloque politique, admet Babek Farhani, un étudiant de Paris-VIII. La question palestinienne est une question politique grave dans le monde entier depuis soixante ans." Le problème, selon lui, est davantage dans la dépolitisation des universités et de la société. "L’université doit être politique mais indépendante", défend-il.
La polémique qui entoure l’interdiction du colloque de Paris-VIII dépasse désormais la seule question d’un débat sur Israël, l’apartheid et le boycott.
Pour Dominique Chagnollaud, l’enjeu est "symbolique : la liberté universitaire". Il dénonce la tribune de Pascal Binczak dans Le Monde daté du 24 février : "Indigne boycottage d’universitaires israéliens", où ce dernier invoque des risques de dérapage et de "troubles de conscience" pour justifier sa décision de retirer son autorisation à la tenue du colloque dans son université. "Cette tribune est encore plus grave. C’est un procès d’intention", estime-t-il. Jean-Guy Greilsammer, cofondateur de L’Union juive française pour la paix, dénonce lui un "chantage à l’antisémitisme" et accuse le CRIF d’être "la courroie de transmission de la politique d’Israël".
Si le tribunal administratif a validé, sur la forme, la décision du président de l’université d’annuler le colloque – au motif qu’un site alternatif leur a été proposé – pour les organisateurs, le combat continue. Ils entendent déposer dans les prochains jours une plainte pour abus de pouvoir au tribunal administratif afin que l’affaire soit jugée sur le fond. Ils jouissent d’un soutien sans faille du monde académique et universitaire. L’ensemble des syndicats étudiants et de nombreux départements de l’université Paris-VIII se sont ralliés à leur défense. C’est un "déni de démocratie de la présidence", dénonce ainsi Salah Kiran, de l’UNEF Paris-VIII. Une "Lettre des 500" universitaires et personnalités en soutien à la liberté d’expression et aux libertés académiques a été publiée sur le site Mediapart.
Pour les étudiants, il en va désormais de leur liberté d’expression. "C’est une décision inacceptable, ultra-réactionnaire. Si on l’accepte, la résistance est morte", estime Babek Farhani.
(Par Hélène Sallon, Le Monde du 28 février 2012)
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