Il y a une vingtaine d’années, un ancien candidat
républicain à l’élection présidentielle américaine avait comparé le
Congrès des Etats-Unis à un « territoire israélien occupé ». En 2015, il
est devenu inimaginable qu’un dirigeant républicain s’exprime avec
autant de perfidie. M. Benyamin Netanyahou et ses idées s’imposent en
effet sans résistance et sans effort dans le cénacle des parlementaires
de Washington. Ils rencontrent davantage d’opposition… à la Knesset
israélienne.
La chose ne s’explique pas uniquement par une majorité républicaine dans
les deux chambres du Congrès, car les démocrates — et M. Barack Obama
lui-même — ne refusent presque jamais rien à la droite israélienne et à
son puissant lobby, l’AIPAC (1). Défendant devant celui-ci la cause du
président des Etats-Unis et de son administration, Mme Samantha Powers,
ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations unies, vient de rappeler
que, ces six dernières années, le président Obama avait consacré 20
milliards de dollars à la sécurité d’Israël (2).
Néanmoins, en partie pour des raisons religieuses liées à la prégnance
chez les évangélistes les plus conservateurs de théories fumeuses sur
l’Apocalypse (3), en partie parce que le Parti républicain, comme
l’actuel premier ministre israélien, adore décrire un Occident encerclé
d’ennemis (en général musulmans) afin de justifier des interventions
armées plus nombreuses et des dépenses militaires plus plantureuses, M.
Netanyahou est devenu le héros de la droite américaine, son Winston
Churchill. Celui qu’elle aimerait avoir comme chef d’Etat plutôt que
l’actuel locataire de la Maison Blanche, un homme qu’elle exècre au
point de douter sans cesse de son patriotisme, voire de la nationalité
américaine inscrite sur son passeport (4).
Lors de la dernière expédition meurtrière d’Israël à Gaza, enthousiasmée
par les moyens employés à cette occasion, l’une des vedettes de Fox
News, Ann Coulter, avait avoué : « J’aimerais que Netanyahou soit notre
président. Oui, bien sûr, parfois des enfants palestiniens sont tués.
Mais c’est parce qu’ils sont associés à une organisation terroriste qui
fait du mal à Israël. Et Netanyahou se moque bien de ce que des
responsables religieux lui disent en pleurnichant à propos des enfants
palestiniens. Il se moque bien de ce que lui disent les Nations unies.
Il se moque bien de ce que lui disent les médias. Nous sommes un pays,
nous avons des frontières. Netanyahou, lui, fait respecter les siennes.
Pourquoi ne pouvons-nous pas en faire autant ? (5) »
M. John Boehner, président républicain de la Chambre des Représentants, a
donc, sans prévenir M. Obama, invité cet homme à poigne afin qu’il
explique aux parlementaires américains que la politique iranienne de la
Maison Blanche menace l’existence même d’Israël. Spécialiste de la
communication et ayant une longue expérience des Etats-Unis, où il fut
ambassadeur de son pays auprès des Nations unies (ce qui lui valut des
centaines d’invitations dans les médias), le premier ministre israélien
n’a pas manqué de se recueillir devant le mur des Lamentations (et
quelques caméras) avant de s’envoler pour Washington. Et d’y assimiler
sans relâche le régime iranien avec celui du IIIe Reich.
Devant le caractère grossier — pour ne pas dire la grossièreté — de la
démarche, M. Obama s’est montré plus audacieux qu’il n’en a l’habitude :
il a fait savoir aussitôt qu’il ne recevrait pas le premier ministre
israélien. Et même que ni son vice-président Joseph Biden ni son
secrétaire d’Etat John Kerry n’assisteraient au discours solennel du
chef du Likoud, destiné à pourfendre la politique étrangère de leur
administration sous un tonnerre d’applaudissements parlementaires. Il y a
près de trois ans, pour expliquer l’engagement inhabituellement voyant
de M. Netanyahou dans la campagne présidentielle de M. Mitt Romney
contre M. Obama, le quotidien israélien Haaretz soulignait déjà que le
premier ministre israélien « ne parle pas seulement anglais, ou même
américain, il parle couramment le républicain. »
Sa fastidieuse diatribe devant le Congrès des Etats-Unis
permettra-t-elle à M. Netanyahou de rendre politiquement impossible tout
accord entre Washington et Téhéran en présentant celui-ci comme un
nouveau Munich, et M. Obama comme un Chamberlain nouvelle manière ? Lui
assurera-t-elle un avantage électoral grâce auquel il l’emportera une
nouvelle fois lors du scrutin du 17 mars prochain (lire Marius
Schattner, « Le coup de poker de M. Netanyahou », dans Le Monde
diplomatique de mars) ? En tout cas, cette fois, « Bibi l’Américain »
semble avoir réalisé l’impossible aux Etats-Unis : il a indisposé une
partie de l’opinion publique, qui lui était jusqu’alors largement
acquise quoi qu’il fasse et quoi qu’il dise.
par Serge Halimi,
mercredi 4 mars 2015 (Le Monde diplomatique)
Notes
(1) Sur le rôle de ce lobby, lire Serge Halimi, « Le poids du lobby
pro-israélien aux Etats-Unis », « Israël, plus que jamais enfant chéri
de l’Amérique » et « Aux Etats-Unis, M. Sharon n’a que des amis », Le
Monde diplomatique, respectivement août 1989, mai 1991 et juillet 2003.
(2) L’administration Obama a par ailleurs opposé son veto à toutes les
résolutions des Nations unies critiquant Israël, y compris quand elles
se contentaient de reprendre des formulations américaines… Et les
Etats-Unis ont quitté l’Unesco lorsque, en 2011, la Palestine y a été
admise.
(3) Lire Ibrahim Warde, « Il ne peut y avoir de paix avant l’avènement du Messie », Le Monde diplomatique, septembre 2002.
(4) Le 18 février dernier, l’ancien maire de New York et ancien candidat
républicain à la Maison Blanche M. Rudolph Giuliani a déclaré : « Je ne
crois pas, et je sais que c’est terrible à dire, que ce président aime
l’Amérique. Il ne vous aime pas et il ne m’aime pas. Il n’a pas été
élevé comme vous et moi dans l’amour de ce pays. »
(5) Fox News, 31 juillet 2014.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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