samedi 21 mars 2015

Yémen : Le groupe EI veut s'imposer en maître face à Al-Qaïda

En signant ses premiers attentats d'envergure au Yémen, le groupe Etat islamique (EI) cherche à s'imposer en maître dans ce pays face à Al-Qaïda en profitant de l'anarchie ambiante et d'un ressentiment antichiite parmi les sunnites, selon des experts.
Les attaques suicide vendredi contre des mosquées à Sanaa, fréquentées par des fidèles et des miliciens chiites Houthis qui contrôlent totalement depuis fin janvier la capitale yéménite, ont fait 142 morts et 351 blessés.
Le groupe jihadiste sunnite EI a revendiqué ces attentats, les plus meurtriers jamais commis à Sanaa, affirmant qu'ils ne sont que "la partie émergée de l'iceberg" et que d'autres suivraient.
Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), également sunnite, a pris ses distances, assurant ne jamais "viser des mosquées et des marchés" afin d'épargner des vies "innocentes".
Le carnage est intervenu 48 heures après l'attaque au musée du Bardo à Tunis (20 étrangers et un Tunisien tués), également revendiquée par l'EI, donnant l'impression d'une campagne coordonnée de l'organisation jihadiste, selon des analystes.
Le Yémen est au bord de la guerre civile avec un territoire coupé en deux: le nord est contrôlé depuis septembre par les Houthis, soutenus par l'Iran chiite, et le sud est dominé par des forces alliées au président Abd Rabbo Mansour Hadi, proche de l'Arabie saoudite sunnite. M. Hadi a fui Sanaa et s'est réfugié à Aden.
Dans la mouvance jihadiste, le Yémen était jusqu'à ces derniers mois la chasse gardée d'Aqpa bien implanté dans le sud. Ce réseau a refait parler de lui en revendiquant l'attentat ayant décimé en janvier à Paris la rédaction du journal satirique français Charlie Hebdo, mais selon des analystes, il est en perte de vitesse au Yémen.
L'EI, qui a supplanté Al-Qaïda en Syrie et en Irak après des combats fratricides en 2014, n'était quasiment pas visible au Yémen.
Malgré les affrontements inter-jihadistes en Syrie, Aqpa appelait en octobre les musulmans à soutenir l'EI face aux "croisés", ce qui a été interprété comme un signe de dissensions au sein d'Al-Qaïda.
Des défections ont ensuite été signalées en nombre croissant et, en février, des combattants d'Al-Qaïda des provinces yéménites de Dhamar et de Sanaa ont prêté allégeance au chef de l'EI, Abou Baqr al-Baghdadi, affirmant vouloir agir contre les chiites.
"Depuis que les miliciens Houthis ont pris le contrôle de la capitale et conquis une bonne partie du pays, Al-Qaïda a perdu de sa crédibilité, ayant été incapable de défendre même des provinces sunnites", explique Mathieu Guidère, professeur d'islamologie à l'université de Toulouse (France).
Pour Jean-Pierre Filiu, professeur à l'Ecole de Paris des affaires internationales, "en perpétrant le carnage de Sanaa, Daech (un acronyme en arabe de l'EI) entend démontrer à la base jihadiste sa capacité à frapper l'ennemi à ses yeux 'hérétique' avec encore plus de violence qu'Aqpa".
"D'ores et déjà, des pans entiers d'Aqpa penchent en faveur de Daech", dit-il. "Il s'agit pour les partisans de Baghdadi d'emporter à tout prix l'allégeance d'Aqpa afin d'absorber ainsi la première génération jihadiste".
Selon M. Guidère, on assiste à un "siphonnage" des troupes d'Al-Qaïda par l'EI, alors que le camp sunnite est divisé. "Le Yémen évolue vers une situation à la syrienne et à l'irakienne avec une guerre civile à caractère confessionnel, opposant sunnites aux chiites (un tiers de la population)".
Toujours d'après cet expert, il s'agit de "défendre les sunnites contre les agressions chiites et étrangères", en Syrie, en Irak "et maintenant au Yémen".
En outre, souligne-t-il, "Daech n'a jamais caché sa volonté d'étendre le territoire du califat à l'Arabie, et le Yémen est une cible de choix, car il est perçu comme le berceau des Arabes".
"L'organisation continue sa stratégie d'encerclement de l'Arabie saoudite: après les positions prises au nord de la péninsule (en Irak), Daech aborde l'Arabie par son flanc sud à partir du Yémen", explique-t-il.
Jean-Pierre Filiu va plus loin. Avec ces attentats, "Daech vient de démontrer en quelques semaines sa capacité à coordonner un vaste mouvement d'expansion, d'abord en Libye, puis en Tunisie, enfin au Yémen, sans oublier le ralliement de Boko Haram (Nigeria)".
Et de conclure: "mon intuition est que ce mouvement, marqué par une accélération sensible, est le prélude d'une reprise de la campagne terroriste sur le continent européen".

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