jeudi 19 mars 2015

Tunisie : Tunis peine à définir une stratégie contre le terrorisme

Les responsables tunisiens ne cessent de le répéter: ils mèneront une "guerre sans pitié contre le terrorisme". Mais comme le montre l'attaque meurtrière du musée du Bardo, le pays peine à définir une stratégie contre une mouvance jihadiste en plein essor.
L'attaque qui a fait 21 morts dont 20 touristes à deux pas du Parlement est la première à cibler des étrangers depuis le soulèvement de 2011 et illustre la nécessité d'adopter une vision claire assortie de moyens, avertissent des observateurs.
"Il n'est plus permis de se leurrer ou de leurrer l'opinion publique", met ainsi en garde le journal Le Quotidien dans un éditorial, en évoquant les "milliers de terroristes agissant en Tunisie, en Libye, en Syrie et en Irak (qui) ont été formés ou recrutés dans notre pays".
Les Tunisiens partis à l'étranger pour combattre, qui seraient de 2.000 à 3.000, sont de l'aveu-même des autorités l'une des plus grandes menaces pour la sécurité du pays, tout comme la proximité d'une Libye livrée au chaos. A cela s'ajoute un groupe armé lié à Al-Qaïda et responsable de la mort de dizaines de militaires à la frontière algérienne.
Et comme après chaque attaque, beaucoup ont vite fait de pointer des doigts accusateurs vers le parti islamiste Ennahda, qui a gouverné la Tunisie avec deux formations au sein d'une "troïka" de la fin 2011 à début 2014 et a souvent été accusé de laxisme vis-à-vis de la mouvance jihadiste.
Mercredi soir, des manifestants ont ainsi réclamé dans le centre de Tunis le jugement de l'ancien Premier ministre islamiste Ali Laarayedh.
"A chaque fois qu'un attentat est perpétré, il nous est difficile d'exonérer la troïka de ses responsabilités. Ses dirigeants ont été au moins laxistes. Au moins, ils n'ont pas su prendre la mesure de la menace", juge le quotidien La Presse.
Ennahda dément catégoriquement ces accusations, rappelant que c'est alors qu'il était au pouvoir que le principal groupe salafiste du pays, Ansar Ashariaa, a été déclaré "organisation terroriste".
L'actuel gouvernement, qui a assuré lors de son entrée en fonction que la lutte antiterroriste serait l'une de ses priorités, n'est pas épargné par les critiques.
"Le combat engagé nécessite plus de rigueur et de fermeté de la part du pouvoir en place", juge ainsi Le Quotidien.
Jeudi, l'actuel chef du gouvernement Habib Essid a admis lors d'une conférence de presse l'existence de "failles dans tout le système sécuritaire".
Il est nécessaire d'avoir "davantage de coopération entre l'armée et les forces de sécurité intérieure", a-t-il insisté.
Peu avant, à l'issue d'une réunion "exceptionnelle" rassemblant notamment le chef de l'Etat, M. Essid ainsi que les ministres de l'Intérieur et de la Défense et les chefs des trois armées, la présidence a annoncé une série de mesures dont certaines destinées à renforcer cette coopération.
Il s'agira notamment d'"appuyer la coopération entre les dirigeants de l'armée et de la sécurité au sein des divers forces et corps" et de "revoir la politique sécuritaire en coopération avec l'institution militaire", selon la présidence.
"Les structures (sécuritaires) ne sont pas adaptées. Il faudrait que la chaîne de commandement soit efficace, c'est-à-dire que les ordres passent avec fluidité", estime Ahmed Driss, le président du Centre des études méditerranéennes et internationales (CEMI), en jugeant qu'une réforme des services de sécurité aurait dû avoir lieu "il y a des années déjà".
"Il faut absolument une coopération (...). Mais c'est structurel et les évolutions structurelles prennent du temps. Or là, on est dans l'urgence", dit de son côté la chercheuse et membre de l'Observatoire tunisien de la sécurité globale, Chahrazed Ben Hamida.
L'attaque de mercredi revêt en outre "un nouvel aspect: les groupes terroristes s'attaquent maintenant aux symboles de la souveraineté du pays, alors qu'ils restaient auparavant confinés dans les montagnes", selon M. Driss.
Si la majorité des violences attribuées aux jihadistes se sont effectivement produites à la frontière avec l'Algérie, des attaques ont déjà eu lieu dans les villes, comme les assassinats en 2013 de deux politiciens de gauche farouchement anti-islamistes, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, et l'assaut en mai dernier contre le domicile du ministre de l'Intérieur de l'époque à Kasserine (centre-ouest).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire