lundi 16 mars 2015

Israël : Des juives ultra-orthodoxes rêvent d'exister politiquement

Tracts en mains, elles tentent de convaincre leurs coreligionnaires: juives ultra-orthodoxes, Ruth et Noa s'attaquent à un tabou en se présentant aux législatives en Israël contre l'avis d'une communauté ultra-fermée qui refuse tout rôle des femmes dans l'espace public.
Ruth Colian a 33 ans et Noa Erez 31. Elles élèvent chacune quatre enfants tout en suivant des cours de droit. Elles ont lancé cette année une petite révolution dans le monde ultra-orthodoxe replié sur lui-même, en devenant les têtes de liste de B'Zchutan ("Par elles-mêmes"), dont la majorité des candidats sont des candidates.
Cette initiative inédite leur vaut insultes et mépris parmi les haredim, les ultra-orthodoxes. Ce soir-là, en campagne à Beit Chemech, ville peuplée à 55% de juifs ultra-religieux à une trentaine de kilomètres de Jérusalem, elles éveille une curiosité qui vire parfois à l'agressivité.
"Salopes!", lance une voix en yiddish, avant qu'un ballon d'eau n'explose à quelques mètres d'elles. "Vous ne nous représentez pas! Ne venez pas créer des problèmes ici", crie une femme qu'elles essaient d'approcher. "Mon rabbin me dira pour qui voter", lance-t-elle.
Les ultra-orthodoxes représentent près de 10% des 8,3 millions d'Israéliens. Ils ont été de toutes les coalitions gouvernementales depuis trente ans, à l'exception notable du gouvernement sortant de Benjamin Netanyahu.
Leurs électeurs votent massivement, plus que le reste de la population, mais aucun chiffre n'existe sur leurs électrices. Quant aux candidates, il n'y en a tout simplement pas. Les principaux partis ultra-orthodoxes l'interdisent. Quant aux consignes de vote, elles viennent des rabbins, sont adressées aux hommes, qui les transmettent à leurs épouses.
Noa Erez s'est lancée dans l'aventure pour porter la voix de celles qui, opprimées, n'ont droit qu'au silence et risquent de tout perdre si elles se mettent la communauté à dos.
"Beaucoup, beaucoup de femmes sont victimes de violences domestiques. Mais elles se taisent parce que, si elles parlent, elles deviennent des parias", explique-t-elle à l'AFP. "Nous voulons soutenir ces femmes qui ont peur et leur dire: nous sommes là pour vous".
Il faut aussi mener la prévention parmi les femmes haredim, deux fois plus touchées par le cancer du sein que le reste de la population. "Parler de cancer du sein ou des ovaires, ça contrevient aux règles de la pudeur. Vous ne trouverez jamais ces mots dans un journal haredi", déplore-t-elle.
Elles n'hésitent pas à défier les règles. A Beit Chemech, elles battent le pavé là où un large panneau proclame: "Les femmes doivent éviter de marcher sur ce trottoir, utilisé par les fidèles de la synagogue".
"Une femme doit être dans sa maison, pas à traîner dans les rues", crie un homme dont la voiture croise un bus bondé, les hommes à l'avant, les femmes à l'arrière.
"La meilleure place pour une femme, c'est sa maison", confirme une électrice, poussette en main, qu'elles tentent d'approcher. "Une femme vraiment religieuse a un mari et il a une langue: c'est donc à lui de dire au monde ce qu'elle veut", poursuit d'une voix douce cette Israélienne qui dit s'appeler Esther. "Il y a des problèmes, je ne le nie pas. Mais les femmes qui se croient au-dessus des rabbins ont tort".
Pour Tamar El Or, professeur d'anthropologie à l'Université hébraïque de Jérusalem, B'Zchutan ne réunira pas plus de quelques centaines de votes.
"Elles n'auront aucun siège et si elles obtiennent 300 à 500 votes, ce sera déjà beaucoup", dit-elle. En soi, "c'est énorme, mais en même temps ça ne veut pas dire grand-chose" parce que ces voix ne viendront pas des femmes ultra-orthodoxes qui ignorent l'existence de B'Zchutan.
Mais l'important, dit-elle, c'est que B'Zchutan a révélé "des femmes courageuses". "C'est comme ça que les révolutions commencent".

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