C'est un choc politique à six mois du prochain congrès islamiste qui
choisira sa ligne et ses dirigeants. Le paysage politique tunisien bouge
à moins de dix jours du second tour des présidentielles. L'affrontement
entre Beji Caïd Essebsi et Moncef Marzouki contraint les politiques à
se définir, à choisir. Ce qu'Ennahdha semble incapable de faire malgré
deux bureaux de la Choura consacrés à ce sujet, sans succès.
Hamadi Jebali est une figure de l'islamisme en Tunisie. Il est l'un des
fondateurs du parti que dirige Rached Ghannouchi, depuis sa création en
1986. Jebali a passé de nombreuses années dans les geôles de Ben Ali,
subissant tortures et isolement. Lors de la victoire des islamistes aux
premières élections libres du 23 novembre 2011, c'est naturellement
Jebali qui est choisi pour devenir Premier Ministre. Il le sera jusqu'à
l'assassinat de Chokri Belaïd, le 5 février 2013. Comprenant que la
situation est intenable, sur conseil du chef d'état major de l'armée
Rachid Ammar, il décide de quitter la Kasba. Et de prôner un
gouvernement de technocrates. Ghannouchi ne l'écoutera pas, une fois de
plus, et Jebali se fera le plus discret possible, quittant ses fonctions
de secrétaire général du parti. Il est en quasi éxil. Ses désaccords
avec le Cheikh furent nombreux, tant sur la politique menée que sur la
stratégie du parti. Les derniers résultats électoraux plaident en faveur
d'Hamadi Jebali. Ennahdha est arrivé derrière Nidaa Tounes aux
législatives et n'a pas de candidat aux présidentielles.
Un choix périlleux signé Ghannouchi. Pour la mouvance islamiste, cette
démission est un fracas. Si les ténors s'engueulent, c'est toujours à
huis clos. Qu'une figure clé comme celle-ci claque la porte en
expliquant que la tyrannie risque de reprendre cours en Tunisie et en
suggérant que ce sera avec la complicité de son parti, cela a le mérite
de porter le débat en place publique. L'alliance inavouée entre Nidaa
Tounes (qui a fait campagne contre les islamistes) et Ennahdha dans la
nouvelle assemblée a troublé. Que Rached Ghannouchi demande à ses
élu(e)s de voter pour Mohamed Ennaceur, vice-président de Nidaa, pour le
faire élire président de l'assemblée, cela a heurté la base. Une
récente réunion entre Ali Larayedh, ex Premier Ministre et qui suit
aveuglément Ghannouchi, et quelques 250 cadres s'est mal passée. La base
n'accepte pas de se voir imposer un mariage de raison avec Nidaa
Tounes, parti composé pour bonne moitié d'anciens membres du RCD, le
parti de Ben Ali. En officialisant son départ, Hamadi Jebali défie
publiquement le leadership de Rached Ghannouchi. Le prochain congrès du
parti aura lieu dans six mois. Avis de tempête.
(11-12-2014 - Benoît Delmas)
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