Pendant deux ans, les journées de Mohsen al-Masri ont été rythmées par
les tortures. Suspendu au plafond, recouvert de cafards, battu encore et
encore... Il a survécu et peut aujourd'hui témoigner, pour les 12 000
personnes mortes dans les prisons du régime syrien.
Son visage rond désormais émacié, Mohsen, un nom d'emprunt, raconte les
sévices et humiliations depuis son exil turc. "Chaque fois que l'on
était transféré d'un centre à un autre, on avait le droit à une 'fête de
bienvenue', (les gardes) nous battaient brutalement, avec des bâtons".
Mohsen a été pendu par les poignets des heures durant, ses orteils
frôlant à peine le sol. Parfois, ses gardes glissaient des cafards sous
ses vêtements, puis l'aspergeaient d'insecticide.
La torture pouvait aussi se faire psychologique. "Ils insultaient ma
femme, me disaient qu'ils allaient aller chez moi et la violer".
Depuis le début de la guerre, en mars 2011, quelque 200 000 personnes
ont été emprisonnées en Syrie, selon l'Observatoire syrien des droits de
l'Homme (OSDH). 12 000 ont péri en détention.
La plupart des détenus passent d'abord par les centres des services de
renseignements, privés d'eau, de nourriture, de médicaments. Mohsen
faisait 100 kg lors de son arrestation, il en pesait moins de 50 à sa
sortie.
"Pour nous, vous n'êtes rien", a un jour lancé un de ses tortionnaires à
Mohammad Samaan -- un pseudonyme --, arrêté et emprisonné à deux
reprises. "Nous torturons les gens parce que nous sommes sadiques. Nous
aimons ça".
"Il m'a électrocuté et m'a dit d'écrire tout ce que je savais. Il a tout
fait pour essayer de me faire craquer", explique ce militant pacifiste
de 33 ans, originaire de Damas.
"J'ai survécu à un cauchemar. Rien (...) ne m'aurait préparé à l'horreur
de la détention", raconte-t-il, se rappelant avoir lu, peu avant le
début de la révolution, "1984" de George Orwell, qui décrit la vie sous
un régime totalitaire. "Quand j'ai été emprisonné à mon tour, j'ai
découvert qu'un tel monde existait, et que c'était en Syrie".
"Aujourd'hui, les souvenirs me hantent chaque jour, quand je mange,
quand je dors", raconte-t-il d'une voix calme, tirant sur sa cigarette à
Beyrouth, où il a trouvé refuge.
- Simulacres de procès -
Comme la plupart des détenus, MM. Samaan et Masri ont été transférés,
après leur passage dans les bureaux des services de renseignements, dans
les tristement célèbres prisons d'Adra et de Seydneya, après un
simulacre de procès.
M. Masri, lui aussi militant pacifiste, a été jugé par un tribunal
militaire. Et le procès de M. Samaan était, selon ses propres mots, une
"farce". "Tous les juges en Syrie ne font que suivre les ordres des
forces de sécurité".
Un constat partagé par un éminent avocat syrien spécialisé dans les
droits de l'Homme. "Le régime ne respecte pas ses propres lois quand il
s'agit des prisonniers", affirme-t-il sous le couvert de l'anonymat.
"Il y a quatre agences de sécurité en Syrie, et chacune est prête à tout
pour montrer qu'elle est plus violente que les autres", ajoute
l'avocat. Et de décrire un maillage sous-terrain immense de prisons et
de centres de détention secrets.
"Rien qu'à Damas, il y a 30 ou 40 centres d'interrogation des services
de sécurité et un nombre inconnu de lieux de détention secrets". Seuls
les détenus dans les prisons officielles ont le droit à des visites.
En outre, plusieurs détenus sont emprisonnés comme "otages" et utilisés
comme moyen de pression sur la personne voulue jusqu'à ce qu'elle se
rende.
Le président Bashar al-Assad a bien accordé une amnistie à des milliers
de personnes en juin, mais seule une poignée des prisonniers de
conscience ont été libérés.
Pour la militante des droits de l'Homme Sema Nassar, le régime refuse de
libérer les militants pacifistes qui ont joué un rôle essentiel aux
commencements de la révolte, en mars 2011, par crainte de l'influence
qu'ils pourraient avoir une fois libérés.
Le conflit syrien, débuté par des manifestations brutalement réprimées
par le régime Assad, est devenu depuis une guerre complexe, où
s'affrontent rebelles, groupes jihadistes et armée. Il a fait 200 000
morts.
La plupart des meneurs du soulèvement pacifique sont aujourd'hui morts,
en prison ou réfugiés à l'étranger, selon plusieurs militants.
(12-12-2014)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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