"La reconnaissance d'un État palestinien par la France serait une grave
erreur (...) C'est ce qu'ils ont à faire en ce moment en France quand on
décapite des gens à travers le Proche-Orient, y compris un citoyen
français ?" La reconnaissance par l'Assemblée nationale de l'État
palestinien a beau être purement symbolique, les propos peu amènes du
Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou à cet égard traduisaient,
une semaine avant le vote, son profond agacement.
Pourtant, comme le rappellent les députés de droite, qui ont majoritairement rejeté le texte, rien ne changera la situation sur le terrain. Pour preuve, l'accession de le Palestine au rang d'État observateur
non membre de l'ONU en 2012 n'a strictement rien apporté sur le
terrain, hormis une joie populaire de courte durée. Au contraire, la
colonisation israélienne - pourtant illégale - à Jérusalem-Est et en
Cisjordanie n'a fait que s'intensifier, ruinant dans les faits toute
possibilité d'avoir un jour un État palestinien viable.
Pour Israël, seules des négociations de paix peuvent aboutir in fine
à la création d'un État palestinien indépendant, et sa reconnaissance
ne peut en aucun cas être une condition préalable. Problème, cela fait
vingt et un ans que les deux parties "négocient" sans aucun résultat
concret. Et la dernière tentative de neuf mois, menée tambour battant
par l'infatigable secrétaire d'État américain John Kerry, s'est à
nouveau soldée en avril par un cuisant échec. "La poursuite de la
colonisation donne l'impression qu'Israël ne négocie pas sérieusement",
avait-il déclaré dès novembre 2013, rompant avec la traditionnelle
langue de bois diplomatique.
"Israël veut-il une troisième Intifada ? [...] Si la paix reste
introuvable, Israël sera de plus en plus isolé. Il y aura un
renforcement de la campagne de délégitimation au niveau international",
avait-il ajouté. Des paroles d'une étonnante liberté qui avaient
provoqué les foudres de la droite israélienne au pouvoir. Mais qui se
sont révélées prophétiques. Car si, au premier abord, la reconnaissance
unilatérale d'un État palestinien en France risque de se retourner
contre l'Autorité palestinienne - Israël pouvant par exemple bloquer
comme de coutume les taxes collectées au nom de Ramallah ou annoncer en
représailles de nouveaux projets de construction -, la décision des
députés français n'est que la dernière illustration en date d'un vaste
mouvement européen de reconnaissance de la Palestine.
Initiée cet automne par le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud
Abbas, la stratégie vise à rééquilibrer la position palestinienne dans
le cadre de futures négociations avec Israël. Après la Suède - premier
pays majeur de l'Union européenne et 135e pays au monde à avoir reconnu
la Palestine - fin octobre, ce sont les Parlements britannique,
irlandais et espagnol qui ont dit symboliquement "oui", enjoignant à
leur tour à leur gouvernement de faire de même.
Si l'exécutif français est aujourd'hui favorable sur le fond à la
reconnaissance de l'État palestinien, une telle décision n'est pas à
l'ordre du jour. Néanmoins, il est à noter que le texte socialiste voté à
l'Assemblée a été rédigé avec la bénédiction du Quai d'Orsay, alors
qu'un vote similaire doit avoir lieu au Sénat le 11 décembre prochain.
"Le processus de paix n'avance pas", confie une source diplomatique.
"Depuis cet été et la crise de Gaza, le discours et la logique ont donc
été renversés. Si, dans un monde idéal, l'État palestinien doit être le
fruit de négociations, il serait possible d'utiliser la reconnaissance
comme un outil pour accélérer le processus de paix."
Vendredi, lors des débats précédant le vote à l'Assemblée, Laurent
Fabius a de nouveau répété que "la France reconnaîtra[it] l'État palestinien",
sans cependant s'engager sur un délai. Relativement absente du dossier
au cours des dernières années, comme l'ont montré les multiples
hésitations de François Hollande pendant la guerre de Gaza cet été,
Paris semble aujourd'hui vouloir reprendre la main. À l'initiative du
Quai d'Orsay, un projet de résolution doit être présenté au Conseil de
sécurité de l'ONU d'ici la mi-décembre. Il prévoit la relance des
négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens
en vue d'un accord final sous deux ans. En parallèle, le ministère des
Affaires étrangères a annoncé sa volonté d'organiser une conférence
internationale sur le Proche-Orient.
"Nous assistons aujourd'hui à une nouvelle donne", souligne Yves Aubin de La Messuzière,
ancien directeur Afrique-Moyen-Orient au Quai d'Orsay et expert du
dossier. "La volonté est de changer l'enceinte des négociations - pour
rejoindre le cadre multilatéral de l'ONU - afin d'imposer la paix, avec
un retour aux frontières de 1967 et des aménagements à négocier." Et le
diplomate de préciser qu'en cas d'échec de l'initiative, au bout de
deux, la France pourrait reconnaître unilatéralement l'État palestinien.
"La France possède un effet entraînant, et beaucoup d'autres pays
européens pourraient suivre. Voilà pourquoi les réactions israéliennes
sont si nerveuses", explique-t-il.
Une inquiétude confirmée il y a quelques
semaines par les propos du ministre israélien du Renseignement, Yuval
Steinitz : "Si Paris, sous la pression de l'extrême gauche ou de sa
communauté musulmane, se livrait à un tel vote anti-israélien, ce serait
vraiment dommageable, car d'autres pays suivraient."
(02-12-2014
- Armin Arefi)
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