Il a supporté deux ans de famine et des combats, mais quand le groupe
jihadiste Etat islamique a pénétré dans le camp palestinien de Yarmouk, à
Damas, coupant la tête à des habitants, Ibrahim Abdel Fatah a fui sans
se retourner.
Pâle et hâve, le visage mangé par une barbe récente, portant pour
uniques affaires deux chemises et une veste, il a trouvé refuge samedi
avec sa femme et ses sept enfants à l'école Zeinab al-Haliyé, à
Tadamoun, un quartier du sud-est de la capitale tenu par l'armée
syrienne.
"J'ai vu des têtes coupées. Ils tuaient les enfants avant les adultes.
Nous étions effrayés. Nous avions entendu parler de leur cruauté à la
télévision mais quand nous les avons vus, je peux vous assurer que leur
réputation n'est pas usurpée", assure cet homme de 55 ans assis sur un
banc.
L'école accueille 98 personnes, dont 40 enfants, dans trois salles de
classe, dont les élèves ont été évacués temporairement. Sur le sol,
outre des galons d'eau, gisent des matelas et des couvertures.
"J'ai quitté ma maison qui était mon seul bien et je survivais avec ma
famille grâce aux rations distribuées par l'Unrwa (Agence des Nations
unies chargée des réfugiés palestiniens)", ajoute cet ancien concierge.
Selon un responsable de l'Organisation pour la libération de la
Palestine (OLP) à Damas, Anouar Abdel Hadi, 500 familles, soit environ
2.500 personnes, ont fui le camp de Yarmouk, qui en comptait 18.000
avant l'assaut lancé mercredi dernier par l'EI. Ils ont été dispatchés
dans plusieurs quartiers et localités avoisinantes sous le contrôle du
régime.
Fin décembre 2012, le camp, situé à huit km du centre de la capitale,
était devenu un champ de bataille entre forces pro et anti régime avant
d'être soumis à un siège impitoyable de la part de l'armée. Selon
l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), près de 200
personnes sont alors mortes de malnutrition et d'absence de médicaments.
"J'ai vu, rue de Palestine, deux membres de Daesh (acronyme en arabe de
l'EI) jouer avec une tête coupée comme si c'était un ballon", assure
Amjad Yaacoub, 16 ans.
Casquette vissée sur le côté comme les rappeurs, blouson à carreaux gris
et blancs, il a un oeil tuméfié et le menton gonflé. "Daesh est entré
chez moi pour se venger de mon frère qui appartient aux Comités
populaires palestiniens. Ils m'ont frappé jusqu'à ce que je m'évanouisse
et m'ont laissé pour mort", dit-il.
A l'entrée de l'école, désoeuvrée, Oum Ousamma, 40 ans, discute avec
d'autres réfugiées. "Je suis sortie du camp malgré moi. J'y étais restée
en dépit des bombardements et de la famine. C'était terrible, on
mangeait des herbes, mais j'étais chez moi", assure cette femme qui
vivait à Yarmouk depuis 17 ans.
"L'entrée de Daesh est en soi une destruction et un massacre. Leur
comportement n'est pas humain et leur religion n'est pas la nôtre", dit
cette femme maigre aux yeux cernés, un bonnet bleu marine enfoncé sur la
tête.
Les hommes sont allongés sur les matelas. Les femmes, en petits groupes,
fument des cigarettes et boivent des jus de fruits alors que les
enfants courent dans la salle.
"Tout a changé avec l'arrivée de l'EI. La peur de la mort n'existait pas
auparavant car durant les combats dans le camp, les rebelles mettaient
les civils à l'abri", assure Abir, âgée de 47 ans et née à Yarmouk.
Aucun Palestinien n'a eu le temps de prendre ses valises tant le départ a été précipité.
"Je suis sortie sans pouvoir emmener d'affaires. Mon mari n'a pu me
rejoindre. Je marchais en rasant les murs pour éviter les tireurs
embusqués", confie Nadia, 19 ans, qui allaite son bébé de deux mois.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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