mardi 21 avril 2015

Liban : Une armée en guerre contre le groupe État islamique (Marie Kostrz)

Sous la tente en plastique bleu et au toit percé qu'il occupe depuis sept mois, Hussein Jaber tente de vaincre les dernières fraîcheurs de l'hiver beyrouthin à grandes bouffées de narguilé. Qu'il crève de chaud, qu'il pleuve ou qu'il vente, l'homme calme aux cheveux blancs campe depuis août dernier sous les fenêtres du Parlement libanais, place Riad al-Solh. Il espère que son entêtement renforcera la détermination des politiciens libanais à obtenir la libération de ses neveux. Maymoun et Nahi Abou Al-Founi sont aux mains des islamistes de Jabhat al-Nosra.
Tous deux font partie de la quarantaine de gendarmes et militaires libanais pris en otage l'été dernier par l'organisation État islamique et Jabhat Al-Nosra. Le 2 août, ces groupes extrémistes qui combattent en Syrie ont attaqué cinq postes de l'armée et de la gendarmerie à Ersal, dans le nord-est du pays. Base arrière des rebelles depuis le début du conflit syrien en 2011, cette ville frontalière sunnite subit l'influence croissante des groupes extrémistes opposés à Bachar el-Assad. Aidés par certains Libanais de la ville, ils prennent régulièrement pour cible l'armée.
Car loin des cafés clinquants et des clubs bruyants de la capitale, l'armée libanaise est en guerre contre les islamistes. Son terrain d'action : l'Anti-Liban. Repoussés côté syrien par l'avancée de l'armée de Bachar el-Assad et son allié le parti islamiste chiite libanais Hezbollah, les rebelles ont fait des vastes montagnes qui séparent la Syrie du Liban leur repaire. Les mois passant, leurs attaques se sont faites de plus en plus fréquentes, et violentes. Les environs de Ersal, Brital, ou encore Ras Baalbek sont quasi quotidiennement le théâtre d'échanges de tirs ou d'affrontements plus violents. "Chaque jour, il y a des combats dans les environs d'Ersal et de Ras Baalbek", témoigne Ibrahim Nehmo, prêtre dans ce village chrétien. Situé sur les contreforts du mont Anti-Liban, au nord d'Ersal, Ras Baalbek a depuis trois mois des sueurs froides.
Le 23 janvier, la bourgade a été le théâtre d'affrontements entre l'armée libanaise et 200 combattants du groupe État islamique. Le but de ces derniers, qui ont lancé l'offensive, était d'atteindre une base militaire importante située non loin du village, moins bien protégé par l'armée qu'Ersal. L'armée les a repoussés, mais huit soldats sont morts et une quinzaine d'autres ont été blessés. L'attaque a été la plus violente depuis l'été dernier, où vingt soldats et seize civils ont péri à Ersal.
Si les positions militaires de Ras Baalbek et d'Ersal ont été renforcées, la situation est toujours très sensible. Vingt-cinq des otages enlevés en août sont eux toujours retenus captifs. "On a très peur pour eux, car on sait de quoi ils sont capables", redoute Wadah Hassan, dont le mari est parmi les otages. Quatre des kidnappés ont eux déjà été exécutés, dont deux décapités par le groupe État islamique. Le 2 avril, Jabhat al-Nosra a rendu la dépouille du gendarme Ali Bazzal, tué par balle le 5 décembre dernier.
Les familles ont du mal à prendre leur mal en patience. Un grand chaos entoure les négociations, auxquelles un trop grand nombre d'acteurs ont pris part. Dernièrement, elles semblent pourtant avancer avec Jabhat al-Nosra. "Le Qatar a déclaré en décembre quitter les négociations, mais il a en fait continué à travailler", explique une source des services de renseignements libanais. "Via son intermédiaire, Jabhat al-Nosra nous a enfin donné une liste sérieuse de ses revendications."
Le groupe demande la libération de prisonniers enfermés dans les prisons libanaises. "Il pourrait par exemple être possible de libérer des individus en attente de jugement ayant aidé logistiquement l'insurrection de Nahr al-Bared* en 2007, mais en aucun cas nous n'acceptons de libérer des combattants, des personnes ayant participé à des attentats ou ayant déjà été jugées", assure-t-elle. La libération de femmes prisonnières des geôles syriennes, demande formulée par le passé, a selon lui été abandonnée.
Alors que ces revendications devraient être discutées dans les prochains jours, les négociations avec le groupe État islamique, qui détient neuf des otages, sont "au point mort" depuis l'attaque de Ras Baalbek. "Daesh a quitté les négociations", affirme une source des services de renseignements libanais. Les familles de Riad al-Solh n'ont pas fini de camper.

(20-04-2015 - )

* En 2007, l'armée libanaise a lancé un assaut contre le camp palestinien de Nahr al-Bared où le Fatah al-Islam, un groupuscule sunnite revendiquant des liens idéologiques avec al-Qaïda, avait lancé une série d'attaques meurtrières contre des soldats libanais.

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