Sous la tente en plastique bleu et au toit percé qu'il occupe depuis
sept mois, Hussein Jaber tente de vaincre les dernières fraîcheurs de
l'hiver beyrouthin à grandes bouffées de narguilé. Qu'il crève de chaud,
qu'il pleuve ou qu'il vente, l'homme calme aux cheveux blancs campe
depuis août dernier sous les fenêtres du Parlement libanais, place Riad
al-Solh. Il espère que son entêtement renforcera la détermination des
politiciens libanais à obtenir la libération de ses neveux. Maymoun et
Nahi Abou Al-Founi sont aux mains des islamistes de Jabhat al-Nosra.
Tous deux font partie de la quarantaine de gendarmes et militaires
libanais pris en otage l'été dernier par l'organisation État islamique
et Jabhat Al-Nosra. Le 2 août, ces groupes extrémistes qui combattent en
Syrie ont attaqué cinq postes de l'armée et de la gendarmerie à Ersal,
dans le nord-est du pays. Base arrière des rebelles depuis le début du
conflit syrien en 2011, cette ville frontalière sunnite subit
l'influence croissante des groupes extrémistes opposés à Bachar
el-Assad. Aidés par certains Libanais de la ville, ils prennent
régulièrement pour cible l'armée.
Car loin des cafés clinquants et des clubs bruyants de la capitale,
l'armée libanaise est en guerre contre les islamistes. Son terrain
d'action : l'Anti-Liban. Repoussés côté syrien par l'avancée de l'armée
de Bachar el-Assad et son allié le parti islamiste chiite libanais
Hezbollah, les rebelles ont fait des vastes montagnes qui séparent la
Syrie du Liban leur repaire. Les mois passant, leurs attaques se sont
faites de plus en plus fréquentes, et violentes. Les environs de Ersal,
Brital, ou encore Ras Baalbek sont quasi quotidiennement le théâtre
d'échanges de tirs ou d'affrontements plus violents. "Chaque jour, il y a
des combats dans les environs d'Ersal et de Ras Baalbek", témoigne
Ibrahim Nehmo, prêtre dans ce village chrétien. Situé sur les
contreforts du mont Anti-Liban, au nord d'Ersal, Ras Baalbek a depuis
trois mois des sueurs froides.
Le 23 janvier, la bourgade a été le théâtre d'affrontements entre
l'armée libanaise et 200 combattants du groupe État islamique. Le but de
ces derniers, qui ont lancé l'offensive, était d'atteindre une base
militaire importante située non loin du village, moins bien protégé par
l'armée qu'Ersal. L'armée les a repoussés, mais huit soldats sont morts
et une quinzaine d'autres ont été blessés. L'attaque a été la plus
violente depuis l'été dernier, où vingt soldats et seize civils ont péri
à Ersal.
Si les positions militaires de Ras Baalbek et d'Ersal ont été
renforcées, la situation est toujours très sensible. Vingt-cinq des
otages enlevés en août sont eux toujours retenus captifs. "On a très
peur pour eux, car on sait de quoi ils sont capables", redoute Wadah
Hassan, dont le mari est parmi les otages. Quatre des kidnappés ont eux
déjà été exécutés, dont deux décapités par le groupe État islamique. Le 2
avril, Jabhat al-Nosra a rendu la dépouille du gendarme Ali Bazzal, tué
par balle le 5 décembre dernier.
Les familles ont du mal à prendre leur mal en patience. Un grand chaos
entoure les négociations, auxquelles un trop grand nombre d'acteurs ont
pris part. Dernièrement, elles semblent pourtant avancer avec Jabhat
al-Nosra. "Le Qatar a déclaré en décembre quitter les négociations, mais
il a en fait continué à travailler", explique une source des services
de renseignements libanais. "Via son intermédiaire, Jabhat al-Nosra nous
a enfin donné une liste sérieuse de ses revendications."
Le groupe demande la libération de prisonniers enfermés dans les prisons
libanaises. "Il pourrait par exemple être possible de libérer des
individus en attente de jugement ayant aidé logistiquement
l'insurrection de Nahr al-Bared* en 2007, mais en aucun cas nous
n'acceptons de libérer des combattants, des personnes ayant participé à
des attentats ou ayant déjà été jugées", assure-t-elle. La libération de
femmes prisonnières des geôles syriennes, demande formulée par le
passé, a selon lui été abandonnée.
Alors que ces revendications devraient être discutées dans les prochains
jours, les négociations avec le groupe État islamique, qui détient neuf
des otages, sont "au point mort" depuis l'attaque de Ras Baalbek.
"Daesh a quitté les négociations", affirme une source des services de
renseignements libanais. Les familles de Riad al-Solh n'ont pas fini de
camper.
(20-04-2015 - Marie Kostrz)
*
En 2007, l'armée libanaise a lancé un assaut contre le camp palestinien
de Nahr al-Bared où le Fatah al-Islam, un groupuscule sunnite
revendiquant des liens idéologiques avec al-Qaïda, avait lancé une série
d'attaques meurtrières contre des soldats libanais.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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