Le procès d'une chaîne de télévision libanaise s'est ouvert jeudi devant
le Tribunal spécial pour le Liban, qui lui reproche la diffusion
d'informations sur des témoins protégés dans l'enquête sur l'assassinat
de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri.
Premier tribunal international ad hoc créé pour juger une attaque
"terroriste", le TSL a été constitué par l'ONU, à la demande du Liban,
après l'attentat ayant coûté la vie à Rafic Hariri et à 22 autres
personnes en février 2005 à Beyrouth.
"Ce comportement continue de mettre en danger la vie de ces personnes
ainsi que de leurs familles", a déclaré le procureur Kenneth Scott lors
d'une audience publique à La Haye, où siège le TSL : "la liberté
d'expression implique des responsabilités".
Al-Jadid-TV et sa rédactrice en chef adjointe Karma Khayat sont accusés
d'outrage et d'entrave à la justice pour avoir publié des informations
sur onze témoins présumés dans une série de programmes diffusés entre le
6 et le 10 août 2012.
Les visages étaient certes cachés et les noms complets n'étaient pas mentionnés, mais "personne n'est dupe", a tancé M. Scott.
Il soutient que les voix des personnes filmées n'ont pas été modifiées
alors que des informations telles que leurs initiales, profession, lieu
de travail ou même des plaques d'immatriculation étaient soit mentionnés
soit visibles à l'écran.
Le TSL n'a jamais confirmé ni démenti que les personnes présentées par Al-Jadid-TV étaient effectivement des témoins.
M. Scott a accusé la chaîne privée et Mme Khayat d'avoir miné la
confiance du public dans la capacité du tribunal à protéger les témoins :
"si les témoins ne viennent pas témoigner, ce tribunal est fini et nous
pouvons tous rentrer chez nous".
"Ils voulaient un gros scoop et étaient prêts à tout pour cela", a-t-il conclu.
Les accusés affirment que les personnes présentées ne sont pas
identifiables et soulignent que le but de leurs reportages était,
précisément, de dénoncer les dysfonctionnements du TSL, notamment les
fuites d'informations confidentielles.
Le TSL a inculpé cinq membres du Hezbollah libanais. Leur procès s'est
ouvert en janvier 2014, mais en l'absence des accusés. Le Hezbollah a en
effet exclu la remise des suspects et accuse le TSL d'être le fruit
d'un complot "israélo-américain" visant à le détruire.
"C'est notre droit de nous assurer que cet argent est dépensé
correctement", a lancé lors de l'audience Mme Khayat, épinglant "le
bâtiment de luxe" et "la salle d'audience 7 étoiles" du TSL, qui
contraste selon elle avec les moyens de la justice libanaise.
"Nous osons révéler les erreurs de l'accusation", a-t-elle affirmé,
tandis que son avocat Karim Khan a accusé le procureur "de tirer sur le
messager" car Al-Jadid n'est pas selon lui responsable des fuites.
Le budget annuel du TSL est actuellement d'environ 60 millions d'euros
par an (49% à charge du Liban, le reste par la communauté
internationale), soit la moitié du budget de la Cour pénale
internationale (CPI), tribunal permanent et mondial.
"Nous voulions montrer au public comment l'argent du contribuable est
utilisé pour financer un tribunal qui ne fonctionne pas bien", avait
affirmé Mme Khayat dans un entretien mercredi à l'AFP.
Elle encourt une peine maximale de 7 ans de prison et/ou 100.000 euros d'amende. La date du jugement n'a pas encore été fixée.
Le TSL est un dossier sensible au Liban, divisé entre le camp mené par
le Hezbollah chiite pro-iranien et la coalition dirigée par Saad Hariri,
fils de l'ancien Premier ministre, un sunnite.
Le quotidien al-Akhbar, proche du Hezbollah, et son rédacteur en chef
Ibrahim al-Amine, sont également poursuivis pour des faits similaires.
Leur procès doit s'ouvrir à une date encore non déterminée.
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