mardi 14 avril 2015

Irak : Il peint le sang des Yazidis pour que "le monde voie"

En peignant des têtes décapitées et des cadavres empilés, l'artiste irakien Ammar Salim trempe son pinceau dans le sang pour montrer au monde le calvaire enduré par les Yazidis lorsque les jihadistes ont envahi leurs terres.
"La plupart des gens se battent avec des armes, la littérature ou la presse. J'ai décidé de me battre par l'art", explique Ammar Salim. "Je veux que les gens voient ce qu'ils n'ont pas vu".
"Le génocide des Yazidis": c'est le titre donné à la série de 20 tableaux qu'il a commencé de peindre dans son petit appartement à Dohouk, dans la région autonome du Kurdistan irakien.
Son dernier tableau en date est inspiré par la découverte d'un charnier dans la région du Mont Sinjar, fief de la minorité yazidie. Il est peuplé d'une centaine de personnages, dont un jihadiste égorgeant un homme et un autre brandissant une tête à la pointe de son fusil. D'autres combattants empilent des cadavres dans des tranchées débordantes.
Le sort des Yazidis a basculé en août 2014, lorsque le groupe Etat islamique (EI) a pris le contrôle des alentours du Sinjar, dans le nord de l'Irak.
L'EI exécute alors des hommes et enlève des centaines, voire des milliers, de femmes yazidies, vendues comme épouses aux jihadistes ou réduites à l'état d'esclave sexuelle, selon Amnesty International.
Sur l'un de ses tableaux, Ammar Salim peint ainsi des femmes en train d'être violées et tuées. Un autre représente des jihadistes jacasseurs en train de vendre et d'acheter des Yazidies à Mossoul, leur fief dans le nord de l'Irak.
La plupart de ses oeuvres, peuplées et colorées comme peuvent l'être certaines représentations de l'enfer de la Renaissance, sont délibérément choquantes. Des scènes brutales et cathartiques qui permettront à sa communauté de "ne jamais oublier ce qui lui est arrivé", explique l'artiste.
L'EI considère les Yazidis, qui ne sont ni musulmans ni arabes, comme des hérétiques car ils pratiquent un culte qui leur est propre.
Ammar Salim a fui sa ville de Bachiqa (nord) lorsque les jihadistes de l'EI s'en sont approchés, prenant Mossoul en juin 2014.
L'artiste, qui peint depuis son enfance, a dû abandonner dans sa fuite l'oeuvre d'une vie, d'une valeur de 70.000 dollars selon lui. Tout son atelier de Bachiqa a depuis été détruit.
Avant cela, il sculptait des personnages de fantaisie, comme Popeye ou Mickey, et peignait des décors pour des pièces de théâtres destinées aux enfants. Mais il représentait aussi des pages sombres de l'histoire irakienne.
Selon Nada Shabout, spécialiste de l'art irakien contemporain à l'université de North Texas (Etats-Unis), la représentation des traumatismes est devenue une composante de l'art visuel irakien au cours des 25 dernières années.
"L'art irakien depuis le début des sanctions (de l'ONU en 1990), en passant par les années 90 et l'invasion de 2003 (menée par Washington, NDLR), a souvent eu pour thème les problèmes du moment, exprimant colère et souffrance", explique-t-elle.
"Quand on a une vie stable, on peut produire de la beauté", témoigne Ammar Salim. "Mais lorsqu'elle est si malheureuse, on doit parler de ce qu'on ressent à l'intérieur".
Pour cela, il choisit parfois le fantastique. L'un de ses tableaux, la "forêt de l'enfer" montre une route menant à un sanctuaire yazidi, Lalish. Les arbres bordant la route prennent la forme de femmes entravées par des chaînes, implorant le ciel où se couche un soleil rouge sang.
La souffrance "est devenue toute notre vie", constate M. Salim.

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