Quarante ans après les premiers tirs, la guerre civile du Liban hante
encore les familles de milliers de disparus, qui se battent pour
connaître le sort d'êtres chers ou espèrent toujours un retour
miraculeux.
"Nous voulons juste une tombe sur laquelle nous recueillir", explique à l'AFP Wadad Halawani, présidente du Comité des disparus.
La guerre a éclaté le 13 avril 1975 et s'est achevée en 1990 après avoir
fait, selon les estimations officielles, plus de 150.000 morts et
17.000 disparus dont des dizaines seraient encore détenus en Syrie,
ex-puissance tutélaire.
Ce conflit a opposé au départ des groupes chrétiens à des factions
palestiniennes appuyées par des partis de gauche et musulmans, avec
l'implication de puissances régionales et internationales.
"Ceux qui ont enterré leurs enfants ont pu les pleurer, mais nous
n'avons pas fait notre deuil", confie Mariam Saidi, mère de Maher, un
communiste d'à peine 15 ans disparu en 1982 alors qu'il combattait près
de Beyrouth.
A l'image des Mères de la place de Mai en Argentine, elle participe
depuis 2005 à un sit-in permanent devant le siège de l'ONU à Beyrouth.
Mais les campagnes se sont heurtées aux nombreux partis impliqués dans
la guerre. "C'est comme un mur épais. Ils disent non à la réouverture du
dossier sous prétexte que cela menace la paix civile, comme si le pays
était en paix!", s'exclame Mme Halawani.
Le Liban, encore secoué par des violences sporadiques, est victime d'une
"amnésie collective", dénoncent des ONG internationales.
En 1991, l'Etat a décrété une amnistie dont bénéficieront les seigneurs de la guerre, toujours au pouvoir.
"Pour retenir les leçons de la guerre, il faut se confronter au passé",
affirme Carmen Hassoun Abou Jaoudé, directrice du bureau du Centre
international pour la justice transitionnelle (ICTJ) à Beyrouth.
"C'est une blessure qu'on a essayé de suturer alors qu'elle était encore
infectée", ajoute-t-elle, précisant que dans d'autres pays, les
enquêtes ont permis "de jeter les bases d'une paix civile juste et
durable".
"Nous ne voulons pas mettre tous les dirigeants politiques en prison.
Nous voulons juste connaître la vérité et nous réconcilier avec le
passé", soutient Mme Halawani, dont le mari a été kidnappé devant ses
yeux dans les années 1980.
Sous la pression, le gouvernement a évoqué en 2000 l'existence de fosses
communes à Beyrouth, mais n'a entrepris aucun effort d'identification.
L'an dernier, les familles ont obtenu une petite victoire lorsque le
Conseil d'Etat, plus haute autorité judiciaire, leur a accordé le droit
d'être informées du sort de leur proches. Une décision restée sans
suite.
Et depuis 2012, le Comité international de la Croix-Rouge établit "une
base de données sur tous les éléments liés la disparition, comme le lieu
ou les vêtements du disparu", explique Fabrizio Carboni, président du
CICR au Liban.
Il souligne les efforts menés pour que les autorités donnent leur feu
vert à la collecte des données biologiques, notamment la salive des
parents, soulignant l'urgence à le faire alors que cette génération est
vieillissante.
Une proposition de loi élaborée par le ICTJ prône la création d'une
commission d'enquête menée par la police avec l'aide d'archéologues et
d'anthropologues.
Pour beaucoup de proches, le temps s'est arrêté. Mme Halawani évoque
ainsi une mère, "Oum Issam, qui depuis plusieurs années ne sort plus de
chez elle, convaincue que son fils peut sonner à la porte d'un instant à
l'autre". D'autres regardent sans cesse par la fenêtre ou ont gardé
intacte le chambre de leurs enfants.
Mariam Saidi souligne ses déceptions successives au cours des 33 années
passées, expliquant avoir reçu de nombreuses fausses informations:
"Quand on me disait que Maher était libre, je commençais à danser. Le
lendemain, aucune nouvelle, je pleurais et criais son nom toute la
nuit".
Mais il n'y a pas de vengeance dans son coeur. "Je soutiens la cause de
toutes les mères de disparus, même si leur fils est des Forces
libanaises" qui ont combattu Maher, dit cette femme qui a peint et
sculpté le visage de son fils.
En Syrie, les autorités nient détenir des prisonniers politiques
libanais. Mais à quatre occasions entre 1976 et 2000, plusieurs ont été
relâchés.
"Dani est vivant", soutient Marie Mansourati, 83 ans, confinée dans son
appartement beyrouthin. Son fils, membre des FL, a été enlevé à Damas
deux ans après la fin de la guerre. La main tremblante, grillant
cigarette après cigarette, elle explique ne plus sortir de chez elle.
"Je veux juste qu'il revienne, qu'il m'appelle 'maman'".
(11-04-2015
- Assawra)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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